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Cinéma

Polémique «Emilia Pérez» aux oscars : Jacques Audiard lâche brutalement Karla Sofía Gascón

Le réalisateur français se désolidarise de son actrice principale déjà écartée de la course aux oscars à la suite des révélations sur ses nombreux tweets insultant les minorités, regrettant «une approche autodestructrice» de sa part.
Le réalisateur Jacques Audiard et l'actrice Karla Sofía Gascón, à Bogotá (Colombie) le 17 janvier 2025. (Raul Arboleda/AFP)
publié le 6 février 2025 à 12h31

Après avoir été déclarée persona non grata à Hollywood pour la campagne des oscars, avoir été carrément invisibilisée de certains matériels marketing retravaillés en urgence par le distributeur Netflix, la comédienne principale d’Emilia Pérez, Karla Sofia Gascon est désormais lâchée par Jacques Audiard lui-même dans une interview exclusive accordée au site Deadline. «Ce qu’a dit Karla Sofía est inexcusable», déclare-t-il, affirmant avoir coupé les ponts avec elle, notamment depuis une interview sur CNN non validée par Netflix et ses armées de communicants : «Je ne lui ai pas parlé, et je n’en ai pas envie. Elle est dans une approche autodestructrice dans laquelle je ne peux pas interférer, et je ne comprends pas pourquoi elle s’obstine. […] Autre chose que je ne comprends pas dans tout ça, c’est pourquoi elle fait du mal à des gens qui étaient très proches d’elle. Elle fait du mal à l’équipe et à tous les gens qui ont travaillé incroyablement dur sur ce film. Je pense à moi, je pense à Zoe [Saldana] et Selena [Gomez].»

Emilia Pérez, avec 13 nominations y compris dans les catégories les plus convoitées (meilleure réalisation pour Audiard, meilleur film), figurait comme la divine surprise pour cette production française réunissant la boîte indépendante Why Not de Pascal Caucheteux, fidèle à Audiard, France 2 Cinéma, Pathé et Saint Laurent Productions se retrouve prise dans une shitstorm sans fin et assez spectaculaire dans ses effets d’inversion de tous les signes positifs – Karla Sofía Gascón, première actrice trans à figurer dans la section meilleure actrice pour la course aux oscars – en stigmates annonciateurs d’une potentielle curée pour le film à l’heure fatidique de la grande soirée du 2 mars.

Dépossédée de tout son crédit antérieur

Audiard, 72 ans, dit ne pas être sur les réseaux sociaux et manifestement personne de la production ni côté France, ni côté Etats-Unis (Netflix pourtant très à cran sur les questions de maîtrise de la marque et de l’image qu’elle renvoie) ne s’était penché sur le canal d’expression libre X, anciennement Twitter, de la vedette espagnole Karla Sofía Gascón qualifiant George Floyd de «toxicomane» et d’«escroc», trouvant qu’il y avait désormais trop de musulmans en Espagne ou estimant que les oscars 2021 en version inclusive étaient une sorte de «festival afro-coréen», soit le genre d’arguments qui lui reviennent en boomerang puisque c’est l’élargissement et la diversité des profils des votants probablement qui ont permis à Emilia Pérez d’être si haut dans les nominations.

Perçue comme un emblème des combats pour une plus grande égalité de traitement pour les catégories en luttes, qu’il s’agisse des femmes, des personnes racisées ou de la communauté LGBT+, Gascón s’est vue comme dépossédée de tout son crédit antérieur, sa performance dans le film ne semblant plus du tout faire le poids, la cohérence entre l’artiste et la femme privée jouant ici à plein régime et jetant un doute, en quelque sorte, sur la véracité de son jeu, sachant qu’elle interprète un baron de la drogue aux mains pleines de sang qui, en faisant sa transition de genre, devient une riche cheffe de file de la lutte contre les cartels et qui finit portée en gloire comme une sainte dans la dernière séquence. Oups.

«Il y a une tristesse qu’il faut dépasser»

«Je pensais revenir ici plein d’enthousiasme et maintenant il y a une tristesse qu’il faut dépasser…» déclare Audiard, dont l’interview s’élargit par ailleurs à la très mauvaise réception du film au Mexique, ce à quoi il rétorque que le genre opératique du film n’a pas été compris et qu’il regrettait de n’avoir pu tourner là-bas, les sources de financement en France ayant conduit à faire le choix d’un tournage avec des acteurs majoritairement espagnols dans des studios de cinéma en banlieue parisienne.

Ce lâchage par Audiard de son actrice principale qui triomphait déjà en mai à Cannes, où le cast féminin au complet recevait le prix d’interprétation féminine, plonge le film dans une nouvelle séquence inédite, notamment en France puisqu’il se trouve dans pas moins de 12 catégories pour la cérémonie des césars et qu’il faudra donc au réalisateur vedette assumer cette rupture avec un casting qui, jusqu’ici, était entièrement porté à son crédit.

Côté américain, il s’agit de croire encore que certaines catégories techniques et les deux actrices dans un second rôle, Saldana et Gomez, puissent escompter ne pas être emportées par la polémique. Sachant que les sommes investies par Netflix dans la campagne des oscars se chiffrent en dizaines de millions de dollars pour un film qu’ils ont acheté 12 millions après le passage cannois. Les enjeux ne sont donc pas seulement symboliques mais aussi lourdement financiers.