Ce mardi 13 mai, au matin de l’ouverture du Festival de Cannes, la planète cinéma ne tourne plus exactement comme avant. Gérard Depardieu, monstre longtemps sacré du cinéma, a été jugé coupable des faits qui lui sont reprochés sur le tournage des Volets verts de Jean Becker : avoir agressé sexuellement deux femmes, l’une, Amélie K., ensemblière décoratrice, la deuxième, E., assistante à la réalisation.
L’acteur de 76 ans, absent de la salle d’audience du tribunal correctionnel de Paris lors de l’énoncé du délibéré, a été condamné à dix-huit mois de prison avec sursis, conformément aux réquisitions du parquet. Le tribunal correctionnel a en outre prononcé une peine d’inéligibilité de deux ans et son inscription au fichier des auteurs d’infractions sexuelles.
Au terme de cette journée éprouvante, Amélie K. s‘est dite «soulagée» auprès de Libé. Oui, Gérard Depardieu fera appel, «mais ça, on s‘y attendait», relativise l’ensemblière, qui juge fondamental que le nom de l’acteur figure désormais dans le fichier des auteurs d’infractions sexuelles.
«Victimisation secondaire»
Le 27 mars, au terme d’un procès de quatre jours et où le tribunal a largement accordé à l’avocat de la défense, Jérémie Assous, le temps d’exposer et réexposer ses arguments, le procureur avait requis une peine de dix-huit mois de sursis, une amende de 20 000 euros, l’indemnisation des parties civiles, une obligation de soins psychologiques, une peine d’inéligibilité de deux ans, et l’inscription au fichier des auteurs d’infractions sexuelles de l’acteur.
Les deux avocates des victimes, maître Claude Vincent et maître Carine Durrieu Diebolt, avaient également demandé 10 000 euros chacune pour leurs clientes, au titre de la «victimisation secondaire» induite par la procédure. Cette notion juridique, présente depuis 2015 dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), prend en compte la souffrance engendrée par la procédure judiciaire elle-même parfois supérieure à celle causée par l’acte dénoncé. C‘est l’une des premières fois qu’elle apparaît dans une décision pénale française.
Le tribunal a fait droit à cette demande des parties civiles, soulignant que les temps d’audience, «particulièrement longs et éprouvants», ont été «marqués de tensions prégnantes et d’incidents multiples». Deux arrêts de la Cour de cassation, datant de décembre 2010 et de mars 2023, allaient déjà dans ce sens, sans nommer la victimisation secondaire. Là, en première instance, les magistrats ont condamné Gérard Depardieu à verser 1 000 euros «au titre du préjudice lié à la victimisation secondaire», à chacune des deux victimes, en plus des 4 000 et 2 000 euros de préjudice moral.
Pour Carine Durrieu Diebolt, c’est une victoire : «Cette reconnaissance de la maltraitance du prétoire et de l’atteinte à la dignité des victimes est très importante pour nous, s‘est réjouie l’avocate. Le président a relevé que la défense avait été particulièrement violente et que ça n’était pas utile à la manifestation de la vérité. Cette décision rappelle qu’il faut trouver un équilibre entre les droits de la défense et la protection des victimes.» Anna Glazewski, maîtresse de conférences en droit public et autrice d’un article sur le sujet, salue elle aussi «la reconnaissance d’un besoin de sérénité et de délicatesse dans la conduite de l’audience» pénale. Elle tient malgré tout à souligner un point essentiel : «L‘obligation de traitement adéquat des victimes pèse d’abord sur le magistrat président l’audience.» En clair, la CEDH impose aux juges l’obligation de garantir la sérénité des débats et pas aux justiciables ou à leurs avocats.
«Il attaque celles qui ne vont pas le dénoncer»
Durant ce procès, d’autres femmes avaient témoigné à charge et décharge. A décharge, bien sûr, Fanny Ardant, qui, d’une voix fiévreuse, était venue «élargir le débat», «expliquer pourquoi Gérard Depardieu est un si grand acteur» et porter secours à son ami qu’elle dirige actuellement sur un film qu’elle tourne au Portugal. Une perspective qui laisse perplexe Amélie K. «Pendant les quatre jours de l’audience, on n’a cessé de nous dire qu’on anéantissait les possibilités de travailler de Depardieu, par ailleurs en mauvaise santé. Et où est-il aujourd’hui ? En tournage avec Fanny Ardant. Je ne suis pas opposée à ce qu’il travaille. Mais j’ai le sentiment qu’on a été baladées.»
L’actrice était restée l’après-midi sur le banc auprès de la famille et des amis de l’acteur, et on s‘était demandé, l’observant, ce qu’elle apprenait des témoignages des trois femmes fort émues qui lui avaient succédé à la barre, et qui racontaient comment elles avaient été agressées sexuellement par l’acteur sur d’autres tournages.
Car il y a une particularité peu sympathique que ce procès a rendue évidente, et que la presse comme les avocates des parties civiles ont notée : la stratégie de l’agresseur qui ne choisit pas ses proies parmi ses égales, mais cible des femmes travailleuses précaires débutantes. «Il attaque celles qui ne vont pas le dénoncer, synthétise Catherine Le Magueresse, représentant l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail. Celles qui ne vont pas mettre en cause son impunité.»
Gérard Depardieu, lui, a eu une défense particulière : plutôt que de réfuter ses gestes, il a parfois dit ne pas s‘être vu les commettre. Ou encore ne pas avoir agi «de sa propre volonté», «ne se voyant pas palper» et remettant en cause le périmètre même des violences sexuelles. Et dans un aveu d’une sincérité troublante et à la vérité indéniable : «Je ne suis pas que cet homme qui touche.»
Mise à jour à 19h37 avec les explications sur la victimisation secondaire.