«J’aime beaucoup la culture, mais ce n’est pas ce que j’avais demandé.» C’est ainsi qu’avec son franc-parler notoire Rachida Dati avait commenté son arrivée surprise rue de Valois après la disgrâce de Rima Abdul-Malak, remerciée sur fond de divergences avec Emmanuel Macron (Depardieu puis le projet de loi immigration). Avant la dissolution et la démission du gouvernement le 16 juillet, Dati avait traversé son mandat express de six mois et quelques jours à coups de com sur sa bio d’enfant des quartiers populaires ayant su s’affranchir de sa classe par la fréquentation assidue des bibliobus et des MJC. Forte de cette expérience perso, elle avait immédiatement transformé son manque de repères dans le secteur en atout, selon une méthode mi-charme, mi-bulldozer, en qualité de femme de droite, nourrie au sarkozysme et à l’époque cible des LR outragés qui aujourd’hui ne voient plus le moindre problème à participer à un gouvernement Macron.
On peut donc dire qu’elle était là en éclaireur, aux avant-postes, et que si elle a pu escompter un autre portefeuille, en gardant la Culture, on verra si elle entend remettre sur le tapis son dossier phare, «une réforme ambitieuse, très attendue par les Français eux-mêmes» comme elle aime à le répéter, le projet de fusion de l’audiovisuel public. France Télévisions, Radio France, l’INA (Institut national de l’audiovisuel) et potentiellement France Médias Monde (RFI, France 24) sont concernés, soit quelque 16 000 salariés. Le projet «vise à renforcer les capacités de l’audiovisuel public à accomplir sa mission essentielle : créer du commun en s’adressant à tous, en faisant en sorte que chacun puisse se construire librement, par-delà les déterminismes et les assignations», défend la ministre, arguant de la nécessité de rajeunir le public et de faire face à la concurrence des plateformes américaines. Reste que la situation parlementaire étant ce qu’elle est, il apparaît difficile de faire passer pareil choc structurel.
Renforcer ses ambitions personnelles
Cette fusion est d’ores et déjà rejetée par les syndicats de Radio France, ayant appelé à la grève en mai dernier : «Pourquoi le gouvernement orchestre-t-il ce mariage entre radios et télévisions à un train d’enfer ? Pourquoi faire voter cette loi sans concertation ?» s’alarmaient notamment dans une tribune journalistes, animateurs, producteurs, techniciens, ou équipes administratives de France Inter, France Culture, France Musique, franceinfo. «Elle fonce, elle est insubmersible», aurait commenté, admiratif, Emmanuel Macron, ravi d’avoir une figure médiatique, redoutée pour son sens de la formule et un punch à toute épreuve, qui porte sans état d’âme ce nouvel assaut contre le service public qui n’était même pas dans son programme. Et pour elle une occasion de renforcer ses ambitions personnelles puisqu’elle entend mener à bien ce chantier en 2026, et se placer en bonne position pour briguer la Mairie de Paris et succéder à son ennemie favorite, Anne Hidalgo.
Faisant de la diversification des publics un de ses chevaux de bataille, elle annonçait en mars vouloir réformer le Pass Culture, dont il apparaissait que les jeunes l’utilisaient trop peu pour voir des spectacles, assurant que l’application ne permettait pas de «lever les inhibitions sociales pour ne pas dire mentales» persistant dans un public jeune, les statistiques démontrant que c’est encore largement l’achat de bandes dessinées, et tout particulièrement de mangas, qui tenait le haut du pavé des dépenses effectuées via le Pass.
Dans le même esprit de diversification, les 23 mesures du Plan culture et ruralité annoncées début juillet n’ont guère eu le temps de se déployer au-delà des annonces dans la foulée de la dissolution. Prenant acte après une consultation en lignes de l’écart de l’offre entre métropole et zones rurales, des problèmes de mobilité des œuvres, des spectateurs et des artistes, ou encore une complexité des financements. Le plan était financé à hauteur de 98 millions d’euros sur trois ans, un chiffre finalement modeste dès lors qu’il ne concerne rien moins qu’un tiers de la population du pays.
Saillies plus ou moins désopilantes
S’affichant en soutien du rap au cours d’une prestation au milieu d’un crew exclusivement masculin sur Twitch, décorant à Cannes Kevin Costner de la médaille de l’Ordre des arts et des lettres, remettant la même médaille à Paris deux mois plus tard à Tom Cruise, Dati s’active en coulisse à déminer les polémiques sur son compte ou à recouvrir de saillies plus ou moins désopilantes ou menaçantes le concert de casseroles qui l’escortent en permanence. Toujours mise en examen pour, notamment, «corruption passive» et «trafic d’influence», elle est soupçonnée d’avoir touché 900 000 euros de Renault pour des prestations jugées fictives durant son mandat d’élue européenne, entre 2009 et 2019.
On attend avec une certaine angoisse les arbitrages budgétaires qui vont être faits avec un ministère de l’Economie désormais sous la houlette d’Antoine Armand et un contexte économique particulièrement tendax et défavorable. Les fonctionnaires de la rue de Valois traçant des plans sur la comète élaboraient dans le vide et la vacance démissionnaire un budget 2025 identique à celui de 2024. S’il venait à baisser drastiquement, Dati devrait d’emblée avaler une couleuvre et faire face à la défiance d’un monde de la culture par ailleurs marqué à gauche et qui vit très mal le braquage de la droite par-delà les résultats en siège des dernières législatives anticipées, début d’une saison d’hallucinations collectives que les vitraux modernistes de Notre-Dame de Paris exigés par Macron, et qu’elle inaugurera en décembre, ne devraient pas suffire à colorer de magie post-JO.