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Libération
Art lyrique

Au Festival d’Aix-en-Provence, une révolution de derrière les «Faggots»

Le tandem Philip Venables-Ted Huffman s’entoure d’une quinzaine d’artistes pour porter la multiplicité des voix queer au cœur du Festival dans un spectacle proche du théâtre musical.
Le tandem Philip Venables et Ted Huffman. (Dominic Mercier)
publié le 28 juin 2023 à 4h58

Tous unis pour porter les singularités des voix queer dans un festival d’art lyrique ? Chiche. The Faggots and Their Friends Between Revolutions, petite forme atypique par sa structure, présentée dans la salle du Pavillon noir inaugurée l’an dernier, s’inspire d’un ouvrage de Larry Mitchell paru en 1977, lequel agrège en de courts chapitres, sans personnages réellement incarnés, des chansons, des textes, des phrases militantes, des illustrations… «Ce roman rend compte d’une opposition à un monde normé géré par des hommes blancs en oppression au reste du monde. Très drôle à lire, très politique, il tente de traduire la créativité et la liberté qui s’expriment en dehors de la norme», nous détaille Paul Briottet, directeur adjoint de l’Académie du Festival, laquelle est à la manœuvre dans cette production dont le compositeur, Philip Venables, ainsi que le metteur en scène et librettiste, Ted Huffman, sont jadis passés par cette structure.

Troisième œuvre du duo après 4.48 Psychose (adaptation de la pièce de Sarah Kane) et Denis & Katya (inspiré par la fuite amoureuse et la mort de deux ados russes en 2015), The Faggots… a poussé Venables et Huffman à développer une forme de collaboration différente. Si le sujet reste militant, l’écriture et l’esthétique évoluent, dans un sens radicalement collectif. Une quinzaine d’artistes participent au projet, venus d’univers divers, comme le lyrique – bien sûr – mais aussi le théâtre, la performance, le classique, le jazz… Par ailleurs polyvalents, ils cumulent les casquettes : chanteurs-acteurs, danseurs-musiciens, etc.

Entre l’opéra et le cabaret

«Cette création a aussi été conçue dans une forme de démocratie», souligne Briottet. Durant les séances de travail, tous les artistes ont débattu et discuté du cœur du texte, de son sens militant. Chacun a apporté des idées, tenté des scènes, transposant dans le monde musical une écriture au plateau qu’on ne retrouve d’ordinaire qu’au théâtre. «Par exemple, lors d’une des premières sessions, Philip Venables avait commencé la composition et s’était présenté avec une quarantaine de pages… il en a rayé les trois quarts en repartant», continue Briottet.

«Ce qui est intéressant avec cette œuvre, c’est que son caractère queer est évident, ainsi que la célébration de la joie, de l’homosexualité, du sexe… toutes ces questions sont abordées de manière très ouverte», note Ted Huffman, sur le site du Festival, expliquant que, «s’il a existé au XXe siècle des opéras queer, notamment ceux de Britten, aucun, à [s]a connaissance, ne présentait les sujets qui s’y rattachent de manière aussi positive». Sur un plateau ouvert, «bienveillant et non en confrontation avec la salle», comme le décrit Briottet, cette succession de chansons relevant du théâtre musical, à mi-chemin entre l’opéra et le cabaret, est aussi traversée par une parole collective portée par les artistes. Condensé explosif de l’effervescence queer, le spectacle propose aussi l’originalité de se situer musicalement dans un intervalle entre l’instrumentarium baroque et le langage pop. A tous coups surprenant.

The Faggots and Their Friends Between Revolutions, du 7 au 9 juillet, 17 heures, Pavillon noir