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Opéra

«Così Fan Tutte», dans les pas du senior

Dmitri Tcherniakov renverse (à nouveau) la table en transformant les jeunes amants de l’opéra de Mozart et Da Ponte en couples d’âge mûr s’interrogeant sur ce qui reste de leur amour.
Répétitions en juin de «Cosi Fan Tutte» de Mozart, direction musicale Thomas Hengelbrock et mise en scène de Dmitri Tcherniakov. ( Jean-Louis Fernandez)
publié le 28 juin 2023 à 1h54

Depuis soixante-quinze ans, le Festival propose une production de Mozart à chacune de ses éditions. Cette année, c’est Così Fan Tutte (1790), «Così» pour les mélomanes pressés, dans une nouvelle production mise en scène par Dmitri Tcherniakov. Qu’est-ce que cette œuvre et comment le Russe, qui réside actuellement en Europe, va-t-il tenter de la dépoussiérer ?

Dramma giocoso en deux actes, Così est le fruit de la troisième et dernière collaboration entre Mozart et son librettiste Lorenzo Da Ponte, après les Noces de Figaro (1786) et Don Giovanni (1787). On peut qualifier cet opéra de farce cruelle, posée dans un écrin de duos et autres quatuors délicatement ciselés. L’argument de Così est tordu. Durant une discussion de bar, un capitaine explique à deux soldats que, s’ils partaient à la guerre, leurs fiancées les tromperaient certainement. «Così fan tutte», elles font toutes ça. Les trois bricolent alors un stratagème pour vérifier ce théorème : les deux soldats font semblant de partir au front, se griment de façon à ne pas être reconnaissables et reviennent voir leurs fiancées, mais en courtisant chacun la fiancée de l’autre. Céderont-elles à ces nouvelles avances ? L’amour triomphe-t-il de tout ? Evidemment, l’affaire va virer au drame de la trahison et de la rancœur, avant une morale réparatrice quoique ambiguë.

Mises en scène hors normes

Dmitri Tcherniakov lui aussi fait tout le temps ça, des chefs-d’œuvre. Souvent mal aimé, parfois contesté, il extirpe des opéras qu’on lui propose un thème occulte, qu’il va ensuite transposer dans des mises en scène hors normes. Il a traité Pelléas et Mélisande sous le prisme de la psychanalyse, le Conte du tsar Saltane sous celui de l’abandon, les Troyens sous celui de la guerre et de ses traumas… Pour ce Così, il va à nouveau renverser la proposition et fouiller le cœur du sujet, le sentiment de doute et de sécurité. Plus de soldats, plus de jeunesse, plus de fiancés qui cherchent à tester la solidité de leur amour au seuil d’une vie qu’ils se préparent à vivre ensemble, mais des seniors qui s’interrogent, après des années de vie commune, sur ce qu’il reste de leur passion, sur ce que leur couple est devenu par-delà la routine. Et qui, comme Tcherniakov l’avait fait pour un Carmen absolument bouleversant en 2017 à Aix, vont se tester, ici en organisant ce jeu de séduction aux couples intervertis.

«Ce n’est pas un simple dramma giocoso, explique Tcherniakov dans une vidéo postée sur le site du Festival. Ils ne créeront pas une sorte de mensonge en mettant des masques, en changeant de costume. Tout est fait exprès, tout est à découvert.» Les deux couples en quête de leurs âmes communes «ont besoin de vérifier, de réaliser profondément, et finalement, ce qui se passe entre eux. Et cette expérience va faire exploser en eux de nombreuses émotions et problèmes». Avant de conclure, avec cet allant et cette intensité qui lui sont fidèles : «Au début, ce sera juste pour s’amuser. Mais ensuite ça devient plus sérieux, ça s’effondre, et il en ressort des résultats inattendus.» On attend en tout cas avec impatience dans quel lieu Tcherniakov va placer son Così, tout comme on a hâte d’entendre le Balthasar Neumann Ensemble , sur instruments d’époque, interpréter cette partition dirigée par Thomas Hengelbrock.

Così Fan Tutte, les 6, 8, 11, 13, 15, 17, 19 et 21 juillet, Théâtre de l’Archevêché