Quand vous n’avez aucun problème d’argent, de drogue, de famille, que votre vie est chiante, que vous ne savez donc pas quoi raconter au monde et que vous tenez quand même à rapper, mieux vaut sans doute assumer jusqu’au bout la vanité flagrante de votre existence et puiser la matière là où elle atteint son paroxysme : Twitter. Après cette recommandation, nous voici maintenant embarqués dans un rap du petit quotidien navrant, écrit à partir des posts d’anonymes confiant publiquement avoir très envie de prendre le goûter. Le tuto s’intitule «Comment écrire tes premiers vers de rap en moins d’une heure» et opère en petit ce que l’ensemble de la pièce tente en plus grand : transformer la banalité en œuvre d’art. Et c’en est une très futée, farcesque, croustillamment pop mais à l’humour insidieusement noir, qui triomphe actuellement au théâtre du Train Bleu à Avignon sous les mains – ou plutôt ciseaux – de Giuseppe Chico et Barbara Matijevic. Dans Our daily performance, cinq performeurs de différentes nationalités s’inspirent de l’indépassable incongruité des milliers de tutoriels YouTube pour livrer aux spectateurs des modes d’emploi vivants et originaux pour (sur)vivre dans la société contemporaine.
Dans la collection, plusieurs pépites dont «Arts martiaux pour chrétiens» dans lequel l’expert invite l’internaute à bien engager le plancher pelvien pour laisser passer le peuple d’Israël. Mais aussi «Fitness de couple spécial Saint-Valentin» dans lequel les amoureux sont invités à se servir du corps de l’autre comme agrès abdominal. Une affection toute particulière revient également au tuto «Chutes à domicile» ou comment bien chuter chez soi quand on a plus de 65 ans, en maîtrisant entre autres le déplacement en ver de terre dans la salle de bains en cas de fracture du col du fémur pour éviter de crever seul. La virtuosité comique – qui tient souvent au contraste entre absurdité des enseignements et placidité du jeu des acteurs –, tout autant que la noblesse donnée à ces experts anonymes et leurs communautés virtuelles, feraient presque oublier qu’il n’est question, dans cet échantillonnage burlesque, que de chute, de vieillesse, de résistance et de mort. Et la façon de jouer ces notes graves avec l’humeur des kits de développement personnel permet à la pièce de dépasser son seul statut d’«ovni à concept con» pour tisser un texte plus puissant qu’il n’y paraît.