Critiques, portraits, interviews… Suivez chaque semaine, toute l’actu du Festival d’Avignon avec les envoyés spéciaux de «Libération».
Drôle de semaine pour le Festival d’Avignon, qui s’est ouvert sur deux images de cercueil : celui de Bergman qu’exposait Angélica Liddell dans la cour d’honneur du palais des Papes, celui de Charles Bon dans l‘Absalon, Absalon ! de Séverine Chavrier. Deux cercueils, c’est beaucoup. Que va-t-on y déposer dimanche 7 juillet ? Nos idéaux républicains ? La liberté-égalité-fraternité de nos frontons ? Le récit d’un théâtre populaire qui n’a rien vraiment vu venir, pire, qui se serait détourné – scénario filé par Ariane Mnouchkine dans Libération le 12 juin. Sa tribune hante les discussions d’avant-spectacle. C’est pour ou contre, on entend «pyromane !» dans un camp, «déni de réalité», répond l’autre, avant que chacun ne se tombe dans les bras sur l’air du «RN ne passera pas».
Jeudi, le théâtre s’est mobilisé. Dans un palais des Papes bourré à craquer, le in faisait sa «Nuit d’Avignon» relayée par une dizaine de chaînes de télévision, même score pour les radios ; dans l’après-midi, le off avait dégainé lui aussi son grand débat. Sur scène ? C’est tous les jours, avec des pièces qui en appellent à la responsabilisation et passage à l’acte. Le collectif Baro d’Evel ne loupe pas son coup quand il pose la question Qui Som ? Oui, qui sommes-nous ? Et qui voulons-nous être ? Va-t-on devoir une fois de plus écouter, la main sur le cœur, les envolées forcément généreuses sur la grandeur démocratique de la culture ? Ou prendre une bonne fois pour toutes la mesure du désastre ? Il y a deux cercueils vides qui attendent, faudrait pas se tromper d’enterrement. L.G.
On adore
Absalon, Absalon ! de Séverine Chavrier. La metteuse en scène déborde le roman monstrueusement américain de William Faulkner face à des spectateurs qui doivent sans cesse réajuster leur regard. Notre critique : Absalon, Absalon !, une affaire demeure.
Lacrima de Caroline Guiela Nguyen. Entre Paris, Bombay et Alençon, Caroline Guiela Nguyen retrace la fabrication de la robe de mariée d’une princesse. Son spectacle est une prouesse, un récit choral ample, populaire et d’une précision rare. Notre critique : Grand art scénique et vieilles dentelles.
Dämon, El Funeral de Bergman d’Angélica Liddell. Avec une extrême sincérité, la performeuse espagnole transforme l’immensité terrifiante du palais des Papes en lieu intime. Notre critique : Angélica Liddell à la cour des Papes : émérites funéraires.
On aime beaucoup
Quichotte de Gwenaël Morin. Avec Jeanne Balibar dans le rôle du héros de Cervantes, Gwenaël Morin livre un spectacle gracieux et réussi dont la fragilité et l’imperfection font surgir toute la puissance d’une pièce au propos résonnant avec le contexte actuel. Notre critique : Quichotte, attention agile.
La Casa de Bernarda Alba d’Enzo Verdet. L’interprétation de la pièce de Federico García Lorca par des détenus du centre pénitentiaire d’Avignon-Le Pontet trace des parallèles saisissants entre ses interprètes masculins et les jeunes filles opprimées qu’ils incarnent. Notre critique : A Avignon, des détenus font éclater les murs de La Casa de Bernarda Alba
Qui Som ? de Baro d’Evel. Pour sa première création au Festival, la compagnie franco-catalane fait résonner rires fous, énergie politique et beauté formelle, avec parfois un air de déjà-vu. Notre critique : Qui Som ? de la compagnie Baro d’Evel, un peu barré.
Pas mal
Hécube, pas Hécube de Tiago Rodrigues. Entre drame familial et scandale d’Etat, le metteur en scène, directeur du Festival, livre une variation d’Euripide servie par les acteurs virtuoses de la Comédie-Française qui n’échappe pourtant pas à une pédagogie trop appuyée. Notre critique : Hécube, pas Hécube, sans accroc.
Une ombre vorace de Mariano Pensotti. Malgré un message sur l’identité parfois pompeux, le spectacle en miroir de l’Argentin, organisant le face-à-face entre un alpiniste et un acteur, happe grâce à un récit convaincant. Notre critique : Mariano Pensotti, pics à vif.
What the fuck
Lors de la première de Dämon, la metteuse en scène espagnole Angélica Liddell a performé des articles de presse avant d’alpaguer directement des journalistes. Le critique de France Inter Stéphane Capron, présent dans la salle et cible d’injures, a porté plainte.
Pendant ce temps-là dans le off
Sauvez vos projets (et peut-être le monde) avec la méthode itérative d’Antoine Defoort. Pastiche de conférence TedX sur les affres du travail créatif, Sauvez vos projets avec la méthode itérative est un seul en scène drôle et salutaire où brille l’art d’expliquer les abstractions théoriques via d’ingénieuses métaphores. Notre critique : Comment devenir un chouette artiste avec Antoine Defoort.
An Irish Story de Kelly Rivière. Sautant d’une langue et d’une époque à l’autre, la comédienne franco-irlandaise manie l’humour et le suspense pour raconter sa quête d’un aïeul évaporé dont l’absence l’obsède depuis l’adolescence. Note critique : An Irish Story de Kelly Rivière, l’Eire du temps.
Les Chatouilles d’Andréa Bescond. Pile une décennie après sa première à Avignon, entre-temps auréolé d’un Molière et adapté au cinéma, le seule en scène sur les violences sexuelles qu’elle a vécues enfant revient, légèrement actualisé, au théâtre du Chêne noir. Notre critique : Les Chatouilles d’Andréa Bescond : dix ans, son passé.
Les portraits
La Ribot. La chorégraphe espagnole a dédié une grande part de son œuvre à l’effacement des femmes. Avec Juana Ficción, elle se penche sur le personnage de la reine recluse Jeanne 1re de Castille.
Jeanne Balibar. L’actrice interprète Quichotte, mis en scène par Gwenaël Morin, au jardin de Mons à Avignon. Portrait croisé entre le héros de Cervantes et la comédienne, habituée aux travestissements.
Le billet, en mode vertigineux
La bascule. A la fois bulle de divertissement et miroir du monde, le rendez-vous théâtral ne peut s’extraire du moment politique singulier qui fait vaciller la France. Pour les metteuses et metteurs en scène comme pour la critique, le dépassement est de mise. Le billet de Lucile Commeaux.
L’interview
Angélica Liddell. Héroïne et criminelle absolue du Festival, la metteuse en scène espagnole rejouera les funérailles du cinéaste suédois Ingmar Bergman dans la cour d’honneur du palais des Papes dans Dämon. Elle raconte son enfance, ses débuts au théâtre et sa vision de sa propre mort.
Et la semaine prochaine ?
On ira à la Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon pour voir des vieux sur scène. Pour son nouveau spectacle, la Vie secrète des vieux, Mohamed El Khatib en a recruté sept par petite annonce : «Si vous avez plus de 75 ans et des histoires d’amour, appelez-moi.» On parlera d’amour, de désir, de masturbation, de la pression des enfants, rapprochement des corps dans les chambres des Ehpad.
A la cour d’honneur du palais des Papes, dans Mothers, a Song for Wartime, la metteuse en scène polonaise Marta Górnicka dirigera un chœur de 21 femmes ukrainiennes, polonaises et biélorusses, de 9 à 71 ans, qui chuchoteront, hurleront, scanderont les violences qui s’abattent sur le corps des femmes en temps de guerre, aux frontières de l’Europe.
Hâte aussi de voir Sea of silence de l’Uruguayenne Tamara Cubas, autour des récits de sept femmes venues du monde entier, et Soliloquio de l’Argentin Tiziano Cruz, sur la discrimination des autochtones, tous deux faisant partie de la riche sélection en langue espagnole cette année.