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Libération
Récap

Festival d’Avignon, semaine 2 : l’âge, c’est dans la fête

Cette semaine, on mange son pain blanc avec Tiziano Cruz, on révise l’histoire du festival avec Fanny de Chaillé et on se fait «grand-remplacer» par les Suisses.
«Soliloquio» de Tiziano Cruz, «Avignon, une école» de Fanny de Chaillé, et la comédienne suisse Pamina de Coulon.
publié le 13 juillet 2024 à 9h29

Critiques, portraits, interviews… Suivez chaque semaine, toute l’actu du Festival d’Avignon avec les envoyés spéciaux de Libération.

Où sont les jeunes, cette catégorie vaste et floue qui ne cesse d’augmenter au fur et à mesure qu’on vieillit, la définition de la jeunesse étant «plus jeune que soi» ? Et bien à vue de nez et de chevelure, pas dans toutes les salles, le gris des crânes étant chromatiquement dominant dans certaines travées. Pourtant, au commencement du festival, on a bien croisé des classes d’ados en sortie scolaire, c’est l’un des effets inopinés des Jeux olympiques qui ont contraint le In à avancer ses dates et à débuter, une fois n’est pas coutume, avant les vacances scolaires. Où sont les jeunes ? Et bien déjà sur les plateaux ! Et que jouent-ils ? Parfois en miroir des comédiens, qu’on guette dans le spectacle du Off l’Entrée des artistes d’Ahmed Madani, où des jeunes gens se questionnent sur ce qui a provoqué leur vocation, ou qu’on revisite l’histoire du festival dans le drolatique Avignon, une école, que Fanny de Chaillé a concocté avec la promotion «la plus insupportable», dixit une élève, de l’école de théatre de la Manufacture à Lausanne. Cependant, et c’est rarissime, les octogénaires peuplent également les plateaux. Il est vrai de manière plus figurative dans Dämon d’Angelica Liddell que dans la Vie secrète des vieux de Mohamed El Khatib où les six interprètes constituent le noyau dur et battant de la pièce. Ehpad tant ? Ou épatant ? Anne Diatkine

On aime beaucoup

Soliloquio de Tiziano Cruz. Révélation du In et de la sélection en langue espagnole du festival, le metteur en scène argentin s’inspire de sa correspondance avec sa mère pendant le confinement pour transformer, dans le deuxième spectacle qu’il présente, sa colère froide en réquisitoire contre la discrimination des corps autochtones dans son pays d’origine. Tiziano Cruz présente une seconde pièce au festival, Wayqeycuna, une pièce de réconciliation, dit-il, qu’il achève par un banquet où il offre du pain et des fruits au spectateurs. Notre critique : dans Soliloquio, le cœur et la rage de Tiziano Cruz.

Avignon, une école de Fanny de Chaillé. Jouant avec les archives, la metteuse en scène et ses jeunes comédiens s’emparent de l’histoire du Festival d’Avignon dans une drôle de pièce, truffée de références artistiques, jamais excluante. Notre critique : Avignon, une école, histoire vive du théâtre.

On aime bien

Los Días Afuera de Lola Arias. La metteuse argentine laisse s’exprimer la singularité de ses six interprètes, femmes et personnes trans passées par la prison, grâce à un dispositif simple mais terriblement efficace. Notre critique : Los Días Afuera, les fortes du pénitencier.

Pas mal

Mothers, a Song for Wartime de Marta Górnicka. La metteuse en scène polonaise réunit dans la cour d’honneur 21 choristes, réfugiées venues de Pologne, d’Ukraine et du Bélarus, qui apostrophent le public au sujet des violences faites aux femmes en temps de guerre. Notre critique : Mothers, a Song for Wartime, l’Ukraine à chœur.

Allez-y sans nous

Lieux communs de Baptiste Amann. Malgré un rythme et une scénographie bien fichus, le spectacle de Baptiste Amann colle aux discours tiédis de ses personnages sans s’inventer une parole propre. Notre critique : Lieux communs, mou artistique.

La Vie secrète des vieux de Mohamed El Khatib. Derrière la promesse alléchante d’une pièce documentaire sur la sexualité des personnes âgées à travers le témoignage de six d’entre elles, la pièce manque finalement de profondeur, cantonnant le spectateur à une position de voyeur. Notre critique : Mohamed El Khatib, la vie est aïeul.

Pendant ce temps-là dans le Off

Dear Jason, Dear Andrew de Sébastien Barrier. L’artiste présente un hommage personnel au duo anglais Sleaford Mods sous forme de monologue divagatoire tour à tour énervé et touchant. Notre critique : Dear Jason, Dear Andrew, la douce obsession punk de Sébastien Barrier.

Entrée des artistes d’Ahmed Madani. Le metteur en scène invite sept jeunes interprètes à se questionner sur leur désir de théâtre, et son enracinement dans leurs histoires et failles familiales. Un instant de parole ouverte et libératrice. Notre critique : Entrée des artistes, l’exutoire de la scène.

Une pièce sous influence de Sophie Lebrun et Martin Legros. Entre la pure drôlerie et le drame, le spectacle du collectif la Cohue dresse le beau portrait d’une femme sur le fil et parvient avec maîtrise à tisser l’absurde, la douleur et le rire. Notre critique : La folie douce et poignante d’Une pièce sous influence.

Cadeau de Paul Courlet. Dans sa première pièce de théâtre, l’artiste sonore Paul Courlet nous entraîne dans une forêt surréelle, sans aucun décor ni vidéo. Un voyage résonnant qui ne laisse pas de bois. Notre critique : Merci du Cadeau !

L’interview

Thomas Ostermeier. Pour le directeur de la Schaubühne de Berlin, cueilli par Libé au lendemain des résultats des élections législatives françaises, «dans le fond, la France est républicaine et antifasciste». C’est ouf.

La rencontre

Marie-Noëlle. Dans l’adaptation de Miguel de Cervantes mise en scène par Gwenaël Morin, la comédienne, narratrice de la pièce et incarnation de Rossinante, évoque son envie d’arrêter le métier d’artiste, parle répétition, reconversion et transition, avec ce phrasé qui rappelle Hélène Surgère, conteuse délicieusement affectée du Salo de Pasolini, ou Delphine Seyrig. «Quichotte, le théâtre, tout cela est un peu absurde.»

On est làààààà, on est làààààà…

Au lendemain du second tour des élections législatives anticipées, les syndicats du spectacle vivant préparent le «troisième tour social». Parmi les chantiers dessinés : les financements prévus dans le projet de loi de finances 2025, le réexamen du Pass culture et le soutien à la culture dans les territoires.

Le «grand remplacement suisse»

A Avignon, on se repasse le mot chaque année : dans le festival Off, la sélection suisse est une valeur sûre. Ça ne rate pas cette année, tant les choix d’Esther Welger-Barboza se révèlent un Cadeau. Dans Une bonne histoire, Adina Secretan revient sur la terrible (et véridique) affaire des infiltrés de Nestlé, qui paya des jeunes femmes pour pénétrer des mouvements contestataires comme Attac, dans les années 2000. Pamina de Coulon, elle, nous entraîne dans un seule en scène intime et politique, Niagara 3000 (on en remet une couche juste en dessous). A croire que la Suisse est finalement moins le pays des banquiers que celui des militants alter et antifas. Mais non, c’est aussi celui des comédiennes et des comédiens puisque le très bon Avignon, une école réunit des jeunes acteurs tout juste sortis de l’école de la Manufacture à Lausanne. Face à tant de talents, comme le dit l’une d’entre eux, Luna Desmeules, sur la scène à nue au cloître des Célestins : «Les Français avaient peur des Juifs, puis des Arabes, maintenant ils ont peur des Suisses. C’est le grand remplacement suisse !»

Le portrait

Pamina de Coulon. Dans Niagara 3000, performance survoltée, la géniale comédienne suisse réinvente le spectacle engagé tambour battant avec son débit torrentiel et sa force de conviction réjouissante. Dans le Off du festival, Pamina de Coulon est bien au-dessus du flot.

Et la semaine prochaine

Très attendu, Forever, l’hommage de Boris Charmatz à Pina Bausch et au Tanztheater Wuppertal. Il reprend Café Müller, la pièce la plus iconique de la chorégraphe allemande, et le dispositif promet : les danseurs répètent pendant sept heures, le public reste le temps qu’il veut.

Dans Close Up, le chorégraphe Noé Soulier réinterprétera des pièces de Bach, tandis que dans Léviathan, Lorraine de Sagazan se penchera sur la passionnante question de la justice restaurative.

Enfin on découvrira ce que concocte de Polonais Krzysztof Warlikowski pour ses retrouvailles avec son personnage d’Elizabeth Costello, issue des romans de J.M. Coetzee.