Critiques, portraits, interviews… Suivez chaque semaine toute l’actu du Festival d’Avignon avec les envoyés spéciaux de Libération.
Avignon, c’est presque fini et déjà nous manquent ces groupes d’amis circulant par grappes dans les rues de la ville, stationnant de longues minutes (heures ?) devant un mur d’affiches vantant les 1 683 spectacles recensés dans les 141 théâtres du festival off (vrais chiffres). «Le seul en scène sur l’inceste il doit être fort… - Sinon il y a le seul en scène sur la fin de vie, t’en penses quoi ?» Nous manquera aussi le délicieux spectacle des habitués du festival in. «Qu’est-ce que tu dis ? - Je dis qu’on en a marre de Richard III, il y en a trop des Richard III - Et tu as vu comme ils étaient mauvais ces jeunes comédiens qui jouaient Isabelle Huppert ? - Elle devrait porter plainte.» Nous manqueront un peu moins les sonnettes hystériques des vélos et de leurs conducteurs à tote bag, cherchant à optimiser dans les ruelles d’Avignon leur trajet entre le théâtre du Train bleu et celui de la Manufacture et ayant visiblement juré sur la tête de Jean Vilar qu’ils ne freineraient pas, dussent-ils renverser un couple de petits vieux.
Sur scène, ce sont d’autres véhicules et d’autres collisions qui nous auront transportés cette année – les voitures étant garées à plusieurs reprises sur les plateaux d’Avignon, que ce soit dans le fabuleux Absalon, Absalon de Séverine Chavrier ou dans Los Días Afuera de l’Argentine Lola Arias. On se souviendra de ces corps butant et cognant. Celui de l’ancienne danseuse de Pina Bausch, Héléna Pikon, 67 ans, percutant les chaises du mythique Café Müller, dans Forever de Boris Charmatz, ou les pas mal assurés de Belén González del Amo, l’actrice non voyante de La Gaviota de Chela de Ferrari. Cette année le festival a mis sur scène la vulnérabilité – des vieilles et des vieux, des personnes en situation de handicap, des vies cabossés d’anciens détenus chez Lola Arias et dans le beau Léviathan de Lorraine de Sagazan, et montré pourquoi elle pouvait être si puissante.
La semaine dernière
On adore
Close Up de Noé Soulier. Le chorégraphe français sublime le mouvement de ses danseurs virtuoses, qui se répondent comme en transe sur la scène de l’Opéra Grand Avignon. Notre critique.
On aime beaucoup
Léviathan de Lorraine de Sagazan. C’est une œuvre à la beauté plastique saisissante et inquiétante qui plonge dans trois comparutions immédiates comme dans un cauchemar sans issue. Fuyant le réalisme documentaire, elle incarne la dureté et l’humiliation de ces procédures ultrarapides. Notre critique.
Elizabeth Costello de Krzysztof Warlikowski. Pour son retour à la Cour d’honneur, le metteur en scène Krzysztof Warlikowski s’empare du personnage créé par le romancier JM Coetzee, l’écrivaine Elizabeth Costello. Une réflexion puissante sur la responsabilité morale qui devrait nous animer envers l’autre, humain, animal ou personnage de fiction, hélas un peu noyée dans ce cadre écrasant. Notre critique.
Pas mal
Forever de Boris Charmatz. Sept heures durant, le spectacle rejoue à plusieurs reprises le mythique Café Müller de la chorégraphe allemande, avec à chaque fois un groupe de danseurs différent. L’intérêt réside avant tout dans les variations. Notre critique.
Dommage
La Gaviota de Chela de Ferrari. La metteuse en scène péruvienne dirige des comédiens et comédiennes mal voyants dans une interprétation décevante de la Mouette de Tchekhov. Notre critique.
Le billet
Le plaisir du récit. Empruntant les codes du thriller, du documentaire ou de la bonne série, de nombreux spectacles de l’édition 2024 du festival ont démontré que les recettes éprouvées de la narration n’avaient rien perdu de leur pouvoir pour attirer le public.
Le portrait
Malicho Vaca Valenzuela. Dans le drôle, politique et tendre Reminiscencia, spectacle hanté par le territoire, le metteur en scène chilien mêle son histoire personnelle et l’héritage social de son pays.
Pendant ce temps-là dans le off
Une bonne histoire d’Adina Secretan. La pièce d’Adina Secretan revient sur une affaire d’infiltration menée par Nestlé en 2003 dans les milieux altermondialistes. Sur scène, deux comédiennes en explorent les conséquences pour les militantes abusées. Notre critique.
Le Papier peint jaune d’après Charlotte Perkins Gilman. Le papier peint jaune c’est le point d’obsession d’une femme, dans ce XIXe siècle finissant, tout juste mariée, tout juste mère, qui souffre selon son mari, médecin renommé, d’une «dépression nerveuse passagère». La comédienne Laetitia Poulalion fait remarquablement entendre le texte étrange et sombre d’une autrice méconnue, la féministe américaine Charlotte Perkins Gilman. Notre critique.
Anne-Christine et Philippe d’Arnaud Churin et Emanuela Pace. Quelle idée géniale d’adapter pour la scène le livre les Lances du crépuscule de Philippe Descola. L’anthropologue y raconte comment, à la fin des années 70 avec sa compagne Anne-Christine Taylor, il a passé pour ses recherches plusieurs années auprès des Achuar, qu’en Occident on appelle plus souvent les «Jivaros», en Haute-Amazonie. Drôle mais aussi intelligent, le spectacle aborde les petits tracas de l’ethnologue sur le terrain (faut-il vraiment aller déféquer avec ses voisins pour montrer son amitié, prendre des substances narcotiques et finir par chanter du Brel ?), ses petits arrangements avec la vérité pour se faire accepter des hommes qu’il «étudie», l’excitation de la «découverte» et finalement la lassitude de si bien les connaître.
Monstres d’Elisa Sitbon Kendall. Mettant en scène l’écriture d’une pièce de théâtre, Elisa Sitbon Kendall questionne, tout en nuance, la justesse de l’artiste lorsqu’il se frotte aux sujets dont il est trop éloigné. Notre critique.
Grégory par By Collectif. La pièce explore la complexité à raconter le réel dès lors qu’il faut mettre en récit un événement. Et se retrouve au cœur de la rédaction de Libération dans les années 80. Et prouve encore que les journalistes sont des protagonistes récurrents dans les spectacles de cette édition du festival d’Avignon. Notre analyse.
Bâtons rompus
Christiane Taubira. «Il est important que ce gouvernement de gauche arrive le plus rapidement possible. Il y a des gens qui n’ont pas le confort suffisant pour patienter.» Depuis Avignon, l’ancienne garde des Sceaux lançait un appel à l’union. Elections, laïcité, politiques culturelles, Nouvelle-Calédonie, racisme, justice, dissolution, responsabilité politique, offices notariaux, postes, écoles maternelles, Richard III, théâtre engagé… Elle s’est livrée à une discussion libre avec la journaliste Laure Adler. Compte rendu.
See you l’année prochaine
La direction du festival a annoncé que la langue arabe sera la langue invitée du prochain festival d’Avignon, après l’anglais l’an passé, et l’espagnol cette année. La danse gagnera quant à elle le saint des saints Palais des papes, avec la chorégraphe Marlene Monteiro Freitas qui y présentera un spectacle en tant qu’artiste invitée de l’édition 2025.