Une vision «colonialiste de la culture hip-hop», concluait sur Konbini le danseur et chorégraphe Fabreezy. Au contraire, rétorquaient d’autres acteurs des danses urbaines, plutôt la «juste réparation d’une situation inégalitaire». Les députés ont finalement adopté jeudi 7 mars la proposition de loi 1149, texte controversé dans le secteur visant à «professionnaliser l’enseignement» de toutes les danses dans leur diversité. Aussi curieuse semble la situation, les enseignants de danses hip-hop n’ont toujours pas acquis le même statut, les mêmes devoirs et les mêmes droits que les enseignants des danses dites académiques. En effet, seuls les professeurs de danse classique, jazz ou contemporain peuvent aujourd’hui obtenir le diplôme d’Etat (DE) niveau bac +3 établi par la loi de juillet 1989, indispensable pour exercer en conservatoires territoriaux, indispensable aussi pour passer le concours de la fonction publique, en gravir des échelons, bénéficier de ses conditions de promotion et de reconversion, ou pour travailler avec l’éducation nationale, sauf à justifier du statut d’artiste-interprète.
«Sélection sociale»
Contrairement à ce que certains députés de gauche avançaient jeudi dans l’hémicycle, la communauté hip-hop est loin d’être cet ensemble homogène uniformément pour ou contre son intégration dans le dispositif du DE. Comme Libé le rappelait le mois dernier, depuis vingt-cinq ans, elle se déchire au contraire autour des craintes d’institutionnalisation mais de la nécessité d’obtenir un cadre plus protecteur, à la fois pour les pédagogues et pour les élèves. Au tournant des années 2000, la création du diplôme avait été massivement rejetée par le secteur parce que les propositions émanaient exclusivement d’«en haut», d’une institution qui avait honteusement tardé à considérer dans leur pleine légitimité ces pratiques urbaines nées dans des communautés populaires stigmatisées. Mais aujourd’hui, la demande émane du terrain. Depuis 2017, le collectif d’acteurs hip-hop ON2H a pris les devants en constituant lui-même ses propres mallettes pédagogiques, travaillant en lien avec le ministère de la Culture sur une version du diplôme «moins verticale», «plus respectueuse des valeurs du secteur». Seulement, les danses hip-hop «ne sont pas des danses de studio», soulignait encore Fabreezy. Force est de remarquer qu’elles ne sont plus non plus des danses de rue comme dans les années 80.
Aux yeux de certains danseurs, la proposition de loi a contre elle d’être portée par deux rapporteuses de famille politique de droite : Fabienne Colboc (Renaissance) et Valérie Bazin-Malgras (Les Républicains). «Fabienne Colboc a été sollicitée sur la taxe streaming, aussi renommée la taxe anti-rap [car le streaming représentait en 2022 85% des revenus du genre, ndlr]», rappelait, toujours sur Konbini, la danseuse et chorégraphe Ambre, membre du collectif «Non à la loi 1149». Ceci explique cela ? Dans l’hémicycle, un député socialiste assurait : «Ce n’est pas une sanction, c’est un nouveau droit», quand certains autres, LFI notamment, s’inquiétaient de la «pensée unique» des danses hip-hop qui sera «déployée sur l’ensemble du territoire», tout autant que d’une «sélection sociale» à venir, notamment dans les milieux populaires. «Si vous enseignez une danse contre rémunération, et que vous n’avez pas le diplôme d’Etat, vous êtes passible de 15 000 euros d’amende. C’est ça qu’on est en train de voter», a martelé Hendrik Davi (LFI).
«Appropriation culturelle»
Les professeurs qui auront enseigné depuis plus de quatre ans une danse jusque-là non encadrée pourront solliciter une dispense. Les détenteurs d’un diplôme d’une école privée aussi, via une procédure simplifiée. «Le diplôme sera réévalué au niveau bac +3, et ouvert à d’autres voies d’accès comme l’alternance et l’apprentissage», a précisé Rachida Dati, rappelant qu’en 1989, le diplôme d’état de professeur avait été pensé pour protéger davantage l’intégrité physique des petites filles qui montaient sur pointes. Aujourd’hui, le nombre de jeunes apprenant les très acrobatiques figures du break a augmenté. La ministre de la Culture réagissait également aux accusations d’«appropriation culturelle» portés par les détracteurs. «Aujourd’hui, c’est parfois un danseur classique ou contemporain qui forme au hip-hop, c’est ça l’appropriation culturelle !» parlant sans doute de l’enseignement en conservatoire – inaccessible pour les enseignants des danses populaires – ou du fait que, pour obtenir un diplôme d’état, certains danseurs hip-hop sont contraints de passer les épreuves dans d’autres disciplines chorégraphiques. La proposition de loi a été adoptée par 36 voix contre 6, et ira au Sénat. La plupart des groupes ont voté pour mais les députés LFI et GDR (à majorité communiste) ont voté contre. Les écologistes se sont abstenus. Un décret en Conseil d’Etat doit définir ses conditions d’application.