Ce jour de début mai où on le rencontre, il est diminué, le dos en vrac. Arnaud Assoumani, quintuple médaillé paralympique et double champion du monde, grand gars hypervéloce et aérien qui électrise le saut en longueur et le triple saut, peine à plier et déplier son 1m85. En habituée du rachis détraqué, on compatit et on cogite. Sciatique ? Lombalgie ? Déchirure ? Lui, rebondit déjà : «Ça va, j’ai le dos bloqué mais je me sens bien.» Assoumani, 38 ans, doit partir le surlendemain aux championnats du monde de para-athlétisme de Kobe, au Japon. «Là, je ne suis pas du tout au point mais de toute façon, l’objectif, c’est être au top le 3 septembre au Stade de France [jour de la finale du saut en longueur aux Jeux paralympiques, ndlr].»
La blessure ? «Ça fait partie du sport de haut niveau, j’en ai eu lors de 85 % de ma carrière.» Il enchaîne sur l’intérêt de la prévention, qui passe notamment par la préparation mentale, la gestion du stress, des émotions. Il est question, entre autres, de neurofeedback, procédé qui vise l’amélioration de la santé et des performances par la gestion des ondes cérébrales, ou encore d’Omegawave, outil qui informe aussi bien sur l’activité du système nerveux central que celle du système cardiaque. «L’important, c’est de bien se connaître et d’avoir conscience de ses limites. Ça permet de trouver son équilibre, sachant que la base du bien-être, c’est bien manger, bien dormir, avoir de bonnes relations sociales et pouvoir s’exprimer, avec ce qu’on veut. Ça peut être avec le sport comme avec l’écriture, la parole, la musique… Ce qu’on veut.»
Lobbyiste tous azimuts du vivre-ensemble
Dans le petit hôtel du Xe arrondissement parisien où il a ses habitudes quand les sollicitations, notamment médiatiques, l’éloignent de Montpellier où il vit, le natif d’Orsay continue comme ça, tout du long. Les 50 minutes filent au rythme de son débit continu, argumenté, vertébré, solide sur ses appuis. A l’évidence bien entraîné par un engagement au long cours pour l’acceptation de la différence qui le fait multiplier les projets associatifs, sportifs, culturels et éducatifs.
L’athlète né sans avant-bras gauche rappelle que «le handicap est le premier facteur de discrimination pour la septième année consécutive», que 12 millions de personnes sont concernées en France – soit environ un sixième de la population –, pointe qu’«on est tous et toutes en situation de handicap à différents moments mais on n’a pas envie d’être associé à ça», assume un côté lobbyiste tous azimuts du vivre-ensemble – «il y a un besoin de représentativité». En ces temps de JO, ça donne entre autres une montée des marches au Festival de Cannes le 21 mai, sa candidature pour être porte-drapeau et A l’unisson.
Assoumani a lancé ce spectacle qui s’inscrit dans le volet Olympiade culturelle des JO de Paris avec le danseur et chorégraphe de danse contemporaine Mourad Bouayad. Présentée les 21, 22 et 23 juillet à l’Olympia, à raison de deux représentations de 4 x 15 minutes par jour, l’affaire va mêler une quarantaine de protagonistes, athlètes, danseurs, mais aussi quidams, les uns et les autres étant en situation de handicap ou dits «valides». Assoumani sera de la première séquence : «Je ne sais pas vraiment danser, je n’ai jamais pris de cours et je ne sors pas beaucoup, mais j’adore ça, tous les types de danse… Danser, c’est un défouloir, un exutoire et un moment de partage.»
«La solution, c’est la rencontre»
Le côté dreadlocks, cool, solaire, suggère un hédoniste complètement apte à l’impro dont est adepte Mourad Bouayad. Il y a sans doute de ça, mais le champion analyse aussi sec : «L’intéressant, c’est le lâcher prise, le fait d’être capable de se détacher de l’enjeu, comme quand on entre sur la piste d’athlétisme.» A l’unisson carburera à l’expérimentation, chaque protagoniste ayant le choix de suivre sa chorégraphie ou d’adopter celle d’un autre. Assoumani : «Ces identités vont vivre, se mélanger et dessiner un tableau.»
Comme souvent dans ses interviews, il évoque le concept de liminalité énoncé par Robert Murphy, anthropologue américain qu’une maladie a progressivement paralysé. Assoumani résume : «La liminalité, c’est cet entre-deux dans lequel se trouvent les personnes en situation de handicap : ni complètement exclues, ni complètement incluses, elles restent sur le seuil de la société. La solution, c’est la rencontre, inviter l’autre à s’asseoir à la table.» Lui s’y est invité spontanément, par le sport, dès l’enfance. Respectivement adeptes du basket et du volley, ses parents, consultant en agronomie et préparatrice en labo, l’ont initié à la natation mais pas poussé à la performance, dit-il. Vu la vitalité qu’il dégage, on croit sans problème à un sens ontologique de la cadence – et pourquoi pas de la danse.