«Depuis dimanche je ne dors plus», souffle Claire Serre-Combe. Ce jeudi 13 juin, devant l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Paris-Belleville où se tient le forum «entreprendre dans la culture», elle tient sur son épaule un drapeau du Synptac-CGT, dont elle est secrétaire générale. Autour d’elle, une ruche d’environ 150 manifestants vrombit, certains tenants eux-aussi des drapeaux d’autres syndicats. Une banderole se soulève : «En lutte contre l’austérité culturelle.» Mais dans toutes les bouches, c’est plutôt le contexte politique qui est omniprésent.
Colère, inquiétude et tristesse
Il est vrai que la mobilisation avait été annoncée bien avant la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron le dimanche 9 juin. Les syndicats ont pris la décision de maintenir ce «grand mouvement» contre les coupes budgétaires annoncé une semaine plus tôt. Mais l’annonce de la dissolution et l’urgence politique de législatives après le score du Rassemblement national aux européennes a changé l’axe de la lutte. Aujourd’hui, l’objectif est exposé dans leur communiqué : «lutter contre l’extrême droite en renforçant les services publics, dont le spectacle vivant», et les discours donnent un avant-goût des grandes manifestations prévues ce week-end.
Théâtre
Après un peu moins d’une heure, les représentants syndicaux prennent un à un le micro, et «appellent à la mobilisation». «L’heure n’est plus aux commentaires, elle est à la mobilisation pour contrer la poussée de l’extrême droite et faire émerger une majorité porteuse des aspirations du monde du travail», clame Maxime Séchaud, secrétaire général adjoint de la CGT-Spectacle, tandis que le représentant du Snapac-CFDT lance plus pudiquement «un appel à un sursaut républicain face à un danger que représentent tous les extrêmes».
Pendant la mobilisation, chacun partage colère, inquiétude ou encore tristesse. Xavier est «atterré de voir à quel point des personnes en colère contre la politique traditionnelle peuvent se tromper», mais est aussi remonté contre Emmanuel Macron, qui «est un irresponsable politique total, avec une stratégie type “après moi, le déluge”». Pour ce photographe de spectacle, «lorsqu’on travaille dans la culture, on est forcément en lutte permanente avec l’extrême droite, car quand elle arrive au pouvoir, elle frappe systématiquement sur la culture et la liberté d’expression». Plus loin, Noémie, Isabella et Alice, la vingtaine, s’accordent sur les bienfaits de ce genre de manifestations. «Quand on est derrière son écran, on est parfois seul. Dans ces moments-là, il faut se rassembler et trouver des endroits pour pouvoir discuter et débattre», explique Noémie, auteurice.
«Ça nous pend au nez»
Dès la publication des résultats des élections européennes le 9 juin, et un peu plus d’une heure seulement après l’annonce du président, la CGT-Spectacle publiait sur ses réseaux sociaux un tract : «L’extrême droite et ses idées sont l’ennemi de la culture.» Y étaient cités en exemples deux pays européens gouvernés par des extrémistes, l’Italie et la Hongrie, mais aussi des actions menées par des municipalités Rassemblement national, où le budget de la culture est réduit, ou alloué au seul patrimoine.
Des arguments repris par Claire Serre-Combe, qui rappelle, qu’au-delà de l’Europe, Javier Milei en Argentine a supprimé le ministère de la Culture pour l’incorporer au «ministère du Capital humain», dans sa réforme réduisant le nombre de ministères de dix-neuf à neuf. «On voit que la culture est vraiment dans le viseur de ces pouvoirs d’extrême droite, et c’est ça qui nous pend au nez au France», martèle-t-elle, avant de rappeler que «maintenant, la priorité c’est de nous mobiliser, et de faire passer le message au Front populaire qu’il doit être uni». Aussitôt dit, aussitôt fait : dès la fin du rassemblement, les manifestants prennent la direction du siège des écologistes. «Ils sont en train de négocier, il faut aller leur mettre la pression !»