Huit jeunes Rolls de la danse, de 18 à 25 ans, sont venues des quatre coins du monde donner au public ce shot d’endorphine qu’il était précisément venu chercher. From England with Love offre du Hofesh Shechter de très haut vol et l’on écrit «du» Hofesh Shechter puisque le chorégraphe israélien installé à Londres depuis vingt-cinq ans, jadis batteur de rock et compositeur de toutes ses pièces, agit bien comme une «marque» parmi les plus identifiables et vénérées de la scène chorégraphique mondiale, a fortiori depuis sa participation au film de Cédric Klapisch En corps : une danse sensuelle et violente hantée par les bombes et l’insurrection, des images syncopées comme le sont des plans de blockbuster hollywoodien, des mouvements virtuoses tendus entre danses tribales telluriques, sautillement de fêtes traditionnelles et pulsations du clubbing.
Des milliards de textures et d’imaginaires convoqués dans le corps des danseurs
La signature «archéo-urbaine» est bien là, intacte. Signature ou plutôt «recette» diront quelques fines bouches lassées de pouvoir prédire l’enchaînement des mouvements de toutes ses pièces : frapper le beat, vénérer le ciel, s’abriter… actions enchaînées, c’est vrai, dans une structure plutôt classique. Tous les autres s’extasieront comme nous, encore une fois, du tissage sophistiqué entre groupe et individus, solos et unissons, ainsi que des milliards de textures et d’imaginaires convoqués dans le corps des danseurs, donnant toujours l’impression à l’air qu’ils pourfendent d’être épais et dense comme une purée de pois, offrant des zones de résistance et d’appui mais aussi des bourrasques soudaines sur lesquelles un torse glisse soudain à une vitesse galactique.
On en oublierait presque qu’il y a là un thème ambitieux: le natif de Jérusalem entend livrer un portrait subjectif de son pays adoptif, l’Angleterre, héritage colonial compris, avec sa violence endémique et sa jeunesse d’aujourd’hui. La pièce s’ouvre sur ces personnages incontournables de la carte postale: ces écoliers british engoncés dans leur uniforme tradi’ mais aspirant à la déglingue des caniveaux et à l’énergie collective des luttes à venir. On ne boude pas ce délicieux fumet «Harry Potter en rave party», ce romantisme noir enveloppant ces chœurs d’enfants nimbés d’éclairages d’églises, aussitôt contrastés par la rythmique rugueuse et trépidante de la danse et de la musique.
Danses folkloriques ou tribales de pays colonisés par l’Angleterre
Le thème british donne à Hofesh Shechter l’occasion de nouveaux mixs audacieux comme il les aime. Musicalement, en mêlant musique ancienne, d’Henry Purcell à Edward Elgar, et inflexions punk rock. Chorégraphiquement, en assaisonnant la partition de danses folkloriques ou tribales de pays colonisés par l’Angleterre, interprétés en cartable d’écolier. On ne s’en moque pas totalement mais disons que le thème reste ici cosmétique plutôt que moteur chorégraphique. Un décor, en somme, qui ne gâte rien de la danse – elle reste magistrale – mais qui ne la renouvelle ni ne la perturbe non plus.