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Festival d'Aix

Opéra : l’Académie a le chant libre

La structure pédagogique du Festival d’Aix-en-Provence, qui fête ses 25 ans, multiplie les initiatives tout terrain et conserve sa proximité avec les artistes.
Cours de Darrell Babidge (au centre), à Aix le 21 juin. (vincent beaume; Vincent Beaume)
publié le 27 juin 2023 à 17h05

Depuis vingt-cinq ans, l’Académie du festival ne cesse de s’étendre. La structure initialement prévue pour former de jeunes chanteurs au seuil d’une carrière prometteuse s’intéresse aujourd’hui aux instrumentistes, lance des productions, organise des réflexions ainsi que des ateliers durant l’année, et sur les programmes parsème chaque distribution d’astérisques renvoyant à la note : «Ancien artiste de l’Académie.» «Après la pandémie, on a vécu une sorte de précipitation intuitive, il était important d’être plus proche des artistes et du public, retrace Paul Briottet, son directeur adjoint. On s’est développés autour de trois pôles : l’Académie proprement dite, qui accompagne chanteurs et pianistes, lesquels participent ensuite à des productions du Festival ; la saison de concerts, avec des formes plus intimistes où l’on permet aussi à des artistes des cartes blanches, et le théâtre musical, qui nous permet cette année de proposer par exemple The Faggots and Their Friends.»

Présentation maousse

Tous ces territoires interpénétrés sont reliés par un réseau dense de circulation. Tel compositeur ou tel chanteur participant à une production ou un récital est jadis passé par l’Académie (comme Ted Huffman et Philip Venables pour The Faggots…), et les académiciens de l’année (10 chanteurs et 3 pianistes, pour 300 auditions de présélection) sont mis en valeur dans une série de trois concerts culminant par une présentation maousse sur le cours Mirabeau, le 29 juin. L’Académie est aujourd’hui autant instrument pédagogique que laboratoire.

Mais retour aux fondamentaux. Qu’y enseigne-t-on ? Comment travaille-t-on la voix ? Ce lundi après-midi, au deuxième étage du Cube, bâtiment du complexe universitaire d’Aix, une cantatrice norvégienne a rendez-vous avec le Britannique Darrell Babidge. Accompagnée d’un académicien pianiste, la soprano dont la tessiture porte aussi sur le mezzo commence à chanter un lied. Babidge, par ailleurs directeur du département «voix» à la Juilliard School de New York, écoute. «Souvent, les élèves me disent que je devrais écrire une méthode. Mais je n’en ai pas. A chaque fois, je me plie à ce que j’entends, aux particularités des chanteurs en face de moi», nous explique-t-il avant le cours. Il ne faudrait pas écrire un livre, mais mille livres et, de fait, la leçon d’une demi-heure qu’il donne tient de la haute couture.

L’exploit de la note à venir

D’abord, Babidge apporte du liant au chant. Il fait reprendre les phrases en les coulant davantage. Son index tendu dans l’air dessine le flux ondulant de la voix comme s’il chatouillait un oiseau. Puis il remarque que, si l’académicienne parvient sans problème à atteindre les notes hautes, ses élans sont aidés par son corps. Son visage, son cou, mais aussi son attitude générale préparent l’exploit de la note à venir. Ce que Babidge va alors travailler, c’est le contexte de la production sonore. «Détendez votre mâchoire. Vous n’avez pas besoin de vous préparer autant. Ne faites rien pour trouver cette note, vous savez la chanter», sourit-il. «C’est difficile», réplique-t-elle.

Il lui propose alors un exercice : se tenir droite dos collé au mur et, en même temps qu’elle montera dans les aigus, plier les genoux pour faire descendre son corps, et ainsi dissocier sa voix de ses gestes, mesurer qu’elle peut chanter sans s’aider d’autre chose. Dans le regard de la cantatrice, qui avait plutôt préparé sa justesse et sa puissance avant le cours, passe un certain scepticisme. Elle s’adosse néanmoins au mur blanc. Le pianiste reprend le morceau, l’académicienne s’exécute, chante tout en pliant les genoux. Plusieurs fois. Le son est différent. Pas dans sa justesse, mais ailleurs, dans sa facilité. «Voilà, vous sentez, c’est mieux non ?» la félicite Babidge. Elle sourit, comme si un engrenage s’était dégrippé : «Wouahou. Attendez… C’est une nouvelle sensation pour moi.» Mais aussi une leçon pour nous, qui avons pu vérifier que si l’esprit s’appuyait sur le corps pour produire un son, ce corps, tout en aidant, entravait aussi.

Parade(s) 2023, avec le Balthasar Neumann Ensemble et l’Académie du Festival, jeudi 29 juin à 21 h 45, cours Mirabeau, Aix-en-Provence, entrée libre