Stop la police ! Par pitié, qu’on mette fin à ces jeux typographiques au travers desquels une série imagine se doter d’une identité visuelle absolument unique – quand en réalité elles font toutes la même chose – en escamotant /rabotant /inversant des lettres pour 1/ faire «russe» ; ou 2/ se nimber d’une aura de mystère mystérieux. Quelques semaines après le faux cyrillique à gros sabots de Totem, série d’espionnage cocoricoco de Prime Video, la plateforme d’Amazon revient à la charge avec l’américain OUTER ЯANGE dont le double R inversé vient ajouter une épaisse couche de gémellité paranormale au genre western qu’elle convoque en premier lieu.
Construit sur les épaules carrées de Josh Brolin – si évident en vieux cow-boy rompu à tout que rien ne dépasse et tout semble un peu fade –, le premier épisode n’aime rien tant que le contempler chevauchant l’air pénétré à travers les grandes et vertes prairies du Wyoming, solide comme le roc mais frêle petite chose aux regards de la grandeur des étendues s’étirant à perte de vue. Patriarche d’une famille élargie qui perpétue un mode de vie condamné face aux grands propriétaires avides – résumés en un rival si caricatural qu’il en est ridicule –, Abbott est dur, sec, mais juste, au point de tolérer une poète hippie qui veut camper sur son terrain.
Surgissements hystériques
Mais il y a anguille, évidemment. Quand le rancher Abbott entre et sort du cadre, c’est à travers des jeux de flou caméra qui suggèrent qu’il y a malaise. Eventé au bout de vingt minutes : en plein cœur de sa propriété gît un trou noir, un puits sans fond surmonté d’une fine couche de particules en lévitation. Vestibule vers un monde insondable, et rappel de ces premières minutes où le destin prenait la grosse voix de Josh Brolin pour nous raconter la légende de Cronos…
Le temps de lire ces lignes, Outer Range avait déjà pivoté de toute façon. Exit le western (réduit à sa plastique), pause sur le fantastique (distillé au compte-gouttes), place à une routine de thriller. Une baston de bar qui dégénère, un cadavre sur les bras, et la flic du bled se retrouve au milieu d’une guerre larvée entre deux familles. La série, malgré sa production léchée, ne trouve jamais le point d’équilibre qui permettrait à ses intrigues et ses tonalités de cohabiter en intelligence. Les scènes s’enquillent, jamais foncièrement déplaisantes, mais sans se nourrir les unes des autres. L’affaire est d’autant plus criante quand, au terme de quelques épisodes, Outer Range s’essaie aux surgissements hystériques, en rupture avec son ton grave. Des pics qu’on imagine modelés sur les sublimes explosions du Fargo de Noah Hawley. Mais qui, ici, finissent de désintégrer la fabrique de la série.