Passé spécialiste de l’adaptation de faits divers pour la télévision, après s’être fait un nom comme documentariste multirécompensé (la magistrale série The Staircase), Jean-Xavier de Lestrade se saisit cette fois de l’affaire des viols de la Sambre, perpétrés entre 1988 et 2018 dans un rayon de moins de 30 kilomètres à la frontière franco-belge. Le coupable, un mécanicien d’usine du nom de Dino Scala, ne fut condamné en 2022 qu’au prix de trente ans de piétinement de l’enquête. Désinvoltures dans la prise en charge des victimes, insuffisance des moyens de la police judiciaire, procédures bâclées, déni de viols ou minimisation alimentés par le sexisme ordinaire… Tous ces éléments de faillite collective furent relatés par la journaliste Alice Géraud (ancienne de Libération) dans le haletant récit enquête Sambre. Radioscopie d’un fait divers, duquel découle la série aujourd’hui. Procédant par portraits successifs, six épisodes d’une heure se focalisent sur un protagoniste à travers les époques.
D’une jeune femme victime dans les années 80 (Alix Poisson), dont la vie familiale s’effondre en répercussion de son post-traumatisme, à une maire pugnace (Noémie Lvovsky) à partir de laquelle dépeindre la déliquescence industrielle de la région, en passant par la jeune juge (Pauline Parigot) qui établit le lien entre les attaques en 1996, la mini-série trace sa route, conforme à la promesse, dignement illustrative avec les apprêts qui vont avec – réalisme de petites cuisines et courses au supermarché, Jeanne Mas à fond dans les walkmans pour la touche voyage dans le temps.
Placé sous le signe de l’empathie aux victimes, un message pré-générique se défend de viser l’exactitude factuelle : la démarche est définie comme un «hommage», sur fond de photos de strangulations et d’hématomes reconstituées à partir de l’authentique dossier judiciaire. Un true crime peut-il jamais être au clair sur le frisson qu’il tire de son récit ? Le respect pour le vécu des victimes s’éprouve, fortement, dans l’attention portée aux dépositions et témoignages de jeunes femmes en miettes : l’indifférence cruelle des policiers en face renforce la charge pathétique de scènes oppressantes à regarder. Sambre n’est pas une série qui se binge.
Lestrade s’en remet malgré tout à une gestion standard de la tension et du romanesque, invitant avec insistance à se glacer le sang chaque fois que le chemin du violeur, monsieur Tout-le-Monde, croise celui des enquêteurs ou des femmes qu’il a détruites. Ne résistant pas à l’envie de humer l’air de fausse normalité du quotidien du criminel. Pas d’enjeu d’expérimentation ici à la différence, par exemple, de la récente série l’Affaire d’Outreau, qui réunissait à l’écran la parole des victimes réelles et des acteurs. Sambre s’inscrit surtout comme symptôme d’une ère post #Metoo pour les polars, que le sacre de la Nuit du 12 de Dominik Moll, méditation sur les féminicides, inaugurait en 2022.