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Libération
Reportage

Séries Mania Institute : à Lille, une école pour «former les gens à de nouvelles histoires»

Ateliers, insertion, formation… En créant son institut dédié aux différents métiers du milieu, le festival Séries Mania ajoute une nouvelle pièce à la construction d’un écosystème.
Les stagiaires de la formation Tremplin du Séries Mania Institute. ( Alexandre Marouze )
par Stéphanie Maurice, correspondante à Lille
publié le 14 décembre 2024 à 11h20

A Lille, au Séries Mania Institute, les créateurs de séries ont les mains dans le cambouis. Ce vendredi après-midi de décembre, ils sont trois, sur la scène de l’auditorium du musée des Beaux-Arts, tremplin d’essai aux ambitions scénaristiques. Un Finlandais, une Espagnole, une Française et un accessoire : une branche d’arbre. Regardez ses rameaux, disent-ils, comme une métaphore des complexités amoureuses. Il en faut du courage, à ces débutants, pour affronter les regards dubitatifs des professionnels aguerris, et vendre leur histoire, imaginée en dix semaines dans un atelier Eureka Séries. Coût, 3 500 euros pour la prochaine session de printemps. Dans le métier, on dit «pitcher». Une branche d’arbre pour s’accrocher, et un love camp pour séduire. Ils sont dans le registre de la rom com. Une voix s’élève, Pascale Deschamps, conseillère fiction à France Télévisions, qui a bien voulu se prêter au jeu : «Et le sexe ? Comment allez-vous vous y prendre pour les scènes de sexe ?» Sur le gril, garder son calme, ne pas rougir.

Depuis deux ans, le festival Séries Mania a donc son école, avec un budget annuel de 1,4 million d’euros, financée à 60 % par des acteurs publics, principalement l’Etat et l’Union européenne. Elle a déjà formé 250 personnes, en présentiel et à distance. Workshops, formation première avec le master en management des métiers de la culture monté avec Sciences-Po Lille, formation continue, insertion… L’institut couvre toute la gamme. Sur ce créneau de la série, il est assez unique en Europe. Marianne Guillon, sa directrice, insiste : il y a les formations au cinéma, nombreuses, et il y a eux, les spécialistes du sériel.

«Notre secteur est assez difficile d’accès»

L’école est une pièce de plus dans la patiente construction d’un écosystème, explique la directrice générale, Laurence Herszberg. A côté du Forum, un marché de contenus, et des Dialogues de Lille, «un mini-Davos de l’audiovisuel», sourit-elle, avec professionnels de l’industrie et politiques invités. Bientôt s’ajoutera, elle l’espère, une Académie de la télévision, qui décernerait les prix de l’année. «Nous aurons alors totalement répondu à la commande de l’Etat. Nous aurons placé la France, et plutôt en haut, dans la galaxie de la fiction», assure Laurence Herszberg. Les locaux sont à la mesure de l’ambition, un ancien hôtel particulier du Vieux-Lille, aux belles hauteurs sous plafond. «Il faut former les gens à de nouvelles histoires, en France comme à l’étranger», souligne la directrice générale. Le nombre de séries a explosé, avec les plateformes de streaming, et les recrutements sont en tension. Comme celui d’administrateur de production, peu glamour mais essentiel, chargé de la comptabilité et des fiches de paie. A l’horizon 2030, il faudrait quatre fois plus de scénaristes qu’aujourd’hui, signale Marianne Guillon.

Pause clope devant la porte cochère, les étudiants sont partout les mêmes. Ceux-là sont jeunes, pas vraiment étudiants, pas vraiment amoureux du système scolaire : ils bénéficient de la formation Tremplin de l’institut, un dispositif d’insertion réservé aux habitants de la région. «Notre secteur est assez difficile d’accès si vous n’avez pas un peu de réseau», explique Marianne Guillon. Ces sept mois sont gratuits pour les jeunes, payés par l’Afdas, l’acteur de la formation des métiers de la culture. Virgile, 21 ans, humour mordant, se morfondait dans un boulot alimentaire, employé d’une escape room. «Je n’ai pas eu le bac, toutes les portes se sont fermées d’un coup», dit-il. Mais l’amour du cinéma d’animation l’a rattrapé, il a postulé par hasard, et bingo. «Disons qu’il y a une petite confiance en soi qui s’est hissée», sourit-il. Il voudrait devenir chef électro : «J’ai tout de suite aimé donner une texture à l’image.»

«Il y a trop de mots»

Ses camarades apprentis scénaristes ont des cernes sous les yeux, un 5x5 minutes écrit, une histoire d’entreprise mondialisée, «entre Google, Tesla et Michelin pour le côté paternaliste», sourit leur intervenant, le scénariste Matthieu Bernard. Ce matin-là, ils assistent au jeu de massacre de leur texte, en rouge tous les passages à sucrer. Le boulot de la script doctor, Stéphanie Girerd : elle se penche sur un dialogue. «Il y a trop de mots. «Je ne veux pas que ça ébruite» suffit.» Dans la salle d’à côté, le groupe production apprend à dépouiller les scénarios : évaluer les prix et dire, non c’est trop cher. «Il faut au plus tôt réfléchir aux alternatives moins coûteuses», explique le prof, Henri Genty, producteur. Série, ton univers impitoyable.