Cette excellente minisérie documentaire est deux choses en une : une enquête journalistique édifiante sur le télémarketing frauduleux aux Etats-Unis, et le portrait de deux marginaux dans le New Jersey des années 2000. Ou un autoportrait, plutôt : car les enquêteurs sont les marginaux, et Telemarketers, entre Clerks et Roger et Moi, le récit tout autant que le produit de leur émancipation, l’objet par lequel ils se sont sauvés eux-mêmes après des années de travail pour un employeur plus que douteux. Soit Sam Lipman-Stern, branleur, et Patrick J. Pespas, «good motherfucker» (bon gars) hanté par son goût prononcé pour l’héroïne, qui se sont connus en 2001 chez Civic Development Group (CDC), entreprise de démarchage téléphonique spécialisée dans la récolte de dons pour les associations de policiers. Fondé dans les années 90 par deux fratries, les Keezer et les Pasch (dont Steve Pasch, chantre du rock chrétien), CDC n’était pas très regardant sur les méthodes de travail de ses employés, ni sur leur CV. A tel point que ces employés eux-mêmes, repris de justice ou zonards pour un bon nombre, s’étonnent de ce plateau de travail aux airs de cour des miracles (deal, concours de pets, prostitution), bientôt exposé sur une plateforme fraîchement mise en service du nom de YouTube.
Surtout, les missions ordonnées par l’entreprise, souvent au «profit» du Fraternal Order of Police (FOP), première asso d’entraide policière du pays, semblaient de plus en plus douteuses. Après une tentative de franchisation dans les recoins les plus sinistrés du pays, CDC fut condamné en 2010 à payer une amende record de 18,8 millions de dollars, mais aucune poursuite pénale ne fut engagée contre ses propriétaires. Surtout, ça n’était que le début de l’histoire puisque des dizaines d’entreprises de télémarketing allaient bientôt se fonder pour reproduire, et sophistiquer, les méthodes d’escroquerie de CDC. Telemarketers suit Lipman-Stern et Pespas sur plus de deux décennies d’enquête de bras cassés (interviews au McDo, tentative de passage en force à la Michael Moore) et d’apprentissage des fondamentaux de l’investigation filmée, d’une équipe de tournage engagée via l’équivalent américain du Bon Coin, jusqu’à la rencontre avec le coréalisateur Adam Bhala Lough. Et emballe, résolument, par sa manière d’entrelacer ses deux propos, le fond de l’enquête et la vie de ses limiers cabossés. «Mais ouais, je suis un putain de lanceur d’alerte», lâche, ahuri, le brave Pespas après une rencontre avec la juriste démocrate Ann Ravel. Aux yeux du spectateur, il est beaucoup plus que ça, l’un des plus beaux personnages vus sur un petit écran de mémoire récente, et Telemarketers bien plus qu’un miracle, son miracle, et celui de Lipman-Stern – on espère qu’ils ont déboulé dans le documentaire pour y rester.