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Libération
Drama Queen

«The Crown», un portrait d’Elizabeth II en rose et noir

La série diffusée depuis 2016 sur Netflix a connu un immense succès et intéressé un public beaucoup plus large qu’attendu aux mœurs de la famille royale britannique. Sa quatrième saison, plus sombre et centrée sur Lady Diana, avait fait réagir la palais de Buckingham.
Olivia Colman, la reine Elizabeth II de «The Crown», dans la troisème saison de la série, diffusée en 2019. (The Kobal Collection / SHUTTERSTOCK / Aurimages/Aurimages)
publié le 9 septembre 2022 à 10h26

L’émoi mondial provoqué par la disparition d’Elizabeth II aurait-il été le même en 2015, avant le lancement de la série The Crown ? Interrogée sur la disparition de la souveraine jeudi soir lors de l’émission Quotidien, Virginie Despentes tentait de botter en touche en expliquant qu’elle n’avait pas grand-chose à dire sur la monarchie… mais a tout de même admis avoir dévoré avec passion les quatre saisons de The Crown. Cela résume bien le rapport entre le public et la série, et comment la création de Peter Morgan a dépoussiéré et rendu magnétique un univers (et un personnage, celui de la reine) dont beaucoup pensaient a priori qu’il ne les intéresserait pas.

Lorsque Netflix lance The Crown en novembre 2016 comme la série la plus chère de son histoire, il y a bien sûr d’office des adeptes, les férus de têtes couronnées ainsi que les passionnés d’anglaiseries en tous genres, de tasses de thé qui tintent au-dessus des vacheries et de la bienséance, Downton Abbey ayant déjà conquis une large fanbase.

Mais il y a aussi ceux qui assurent ne pas être clients de ce genre de choses… et que l’on retrouvera quelques mois plus tard, en plein binge-watching, en train de vérifier sur Wikipédia si le prince Philip avait bel et bien été infidèle, ou si un inconnu s’était bel et bien faufilé dans la chambre de la reine par une belle nuit de l’été 1982. La faute à une écriture brillante et une compréhension passionnante de la fonction royale, montrant un personnage aux prises avec sa propre inutilité et apprenant à la rendre, malgré tout, signifiante. Grâce aussi à la subtilité de Claire Foy, magnifique interprète des jeunes années de la reine pour les deux premières saisons, puis à l’assurance sobre d’Olivia Colman pour les deux suivantes.

Solitudes, petitesses et tristesses

La dernière en date, la quatrième, très sombre, qui mettait au centre de l’intrigue Lady Diana et la façon dont elle fut traitée par la famille royale, ne dépeignait que des solitudes, des petitesses et des tristesses. Et, pour la première fois, Buckingham Palace est sorti de son silence et fait part de son mécontentement. Mais The Crown n’est pas une série historique, et ne s’est jamais présentée comme telle – beaucoup d’aspects développés sont romancés et des libertés prises avec la réalité. Il n’empêche : un personnage historique qui devient un vrai personnage de fiction provoque une ambiguïté, un trouble. Quand on voyait la reine aux infos, se superposait immédiatement dans l’esprit son personnage de série, les deux cohabitaient à l’image, avec cette curieuse impression de flash-back instantané puisqu’on remontait le fil de leur vie depuis les années 50. Et quand son époux, le prince Philip, est mort en avril 2021, on venait de vivre avec lui une saison pleine d’incertitudes et de doutes existentiels, et le vertige fut bien réel. Ainsi qu’a conclu Despentes, comme s’il s’agissait de Don Draper à la fin d’une saison de Mad Men : «Ça ne va pas être facile pour Charles, maintenant…»