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Libération
Critique

«The Underground Railroad», la voie des esclaves

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Adaptée du roman de Colson Whitehead, la série de Barry Jenkins ( «Moonlight») parvient à s’affranchir du carcan des faits pour conter le chemin de croix de Cora vers sa liberté.
Thuso Mbedu, formidable dans le rôle de Cora. (Amazon Studios)
publié le 14 mai 2021 à 5h24

En son point d’équilibre, The Underground Railroad est gris. Sol, ciel, arbres, chasseurs d’esclaves et proies, tout se confond en un tapis cendré. La lancinante traversée des restes calcinés d’une forêt du Tennessee suspend le cours du récit, du temps et des lois, et oblitère les couleurs. Les soleils roux de la plantation de Géorgie que la jeune Cora fuit de longue date sont loin derrière, tout comme les lumières électriques de la ville où elle a un temps trouvé refuge. Tandis qu’à côté d’elle un fuyard émacié murmure des chants sur la Terre promise et le Jourdain – le langage crypté du gisant évoquant les frontières vers la délivrance, le Canada et le fleuve Mississippi – et vire au verdâtre, seule Cora et sa robe rouille se détache sur cette terre morte. Etrangère partout, même aux portes de ce qui ressemble à l’au-delà. Aux commandes du convoi, le traqueur d’esclaves Ridgeway domine son monde tel un Charon sadique, qui se délecterait de la détresse de ses prisonniers, prêt à les laisser fuir pour mieux les rattraper. Le temps d’un chapitre, The Underground Railroad, qui épouse les mouvements amples de la fresque historique tout en s’autorisant des trahisons poétiques, se tient ostensiblement entre chien et loup, entre le visible et l’invisible, à la dérive le long des sinuosités d’un chenal intérieur. A l’encoignure du cinéma de Barry Jenkins et du roman de Colson Whitehead, il y a cette intuition que la fidélité aux faits et le réalisme social ne sont pas