Franchement bravo : «Nous, on n’a jamais réussi à hisser une banderole en haut du Palais des festivals, et on a essayé plein de fois.» Et c’est la CGT qui parle, Denis Gravouil en l’occurrence, aujourd’hui membre du bureau confédéral du syndicat au côté de Sophie Binet, secrétaire générale, qui elle aussi abonde en hochant la tête. Oui, répètent-ils, «bravo» à vous, collectif «Sous les écrans les dèches», qui avez réussi à établir un rapport de force avec le gouvernement, en tout cas le temps que dure encore le Festival.
«Le problème, c’est la raquette»
En déplacement à Cannes, entre deux rendez-vous avec le syndicat des bergers de France ou celui des personnels hôteliers du Carlton, et alors que tonne sur la plage les beats tonitruants d’un remix techno de Dance Machine Volume 3, la CGT rencontrait ce vendredi les représentants des travailleurs de l’ombre des festivals de cinéma, mobilisés depuis un an pour réintégrer – ils en ont été exclus en 2003 – le régime de l’assurance chômage des intermittents du spectacle. Les activités de ces agents d’accueil, attachés de presse, chargés des accréditations, projectionnistes sont soumises au régime général alors qu’ils alternent des missions de courte durée avec des périodes chômées. Le durcissement récent des règles d’indemnisation, et la prochaine réforme de l’assurance chômage, appliquée le 1er juillet par décret, les condamne à une baisse d’indemnités «de 200 à 500 euros», chiffre un représentant du collectif.
En 2023, cette petite centaine de précaires des festivals de cinéma s’était déjà mobilisée pendant le Festival de Cannes. Sans succès. Cette fois, leur appel à la grève, lancé le 6 mai et très relayé dans la presse, a fait gonfler leurs rangs. Et une première manche encourageante vient d’être remportée, annoncent-ils : rendez-vous confirmé mardi matin avec l’interlocuteur clé du dossier, le ministère du Travail, en même temps qu’avec les dirigeants des quatre sections du Festival, le ministère de la Culture et le Centre national du cinéma. «Il faut vraiment sortir de là avec une lettre de mission, il y a urgence», insiste Denis Gravouil. La partie sera dure à jouer : «Au ministère de la Culture, nous dit-on, leur objectif est déjà de défendre un régime constamment menacé ainsi que les quelque 300 000 intermittents qui en bénéficient. Ils craignent de le fragiliser encore plus en nous intégrant. Selon eux, il faudrait plutôt revaloriser nos salaires.» Pourtant, rappelle Sophie Binet, «ils sont dans la discontinuité de façon structurelle. Le problème, ce n’est même pas qu’ils soient un trou dans la raquette. Le problème c’est la raquette : cette réforme de l’assurance chômage est absolument catastrophique !» Dimanche, lors de son discours à Cannes, la ministre Rachida Dati n’a «pas eu un mot pour nous», s’indignaient les militants. «60% d’augmentation de subvention pour les festivals et pas un mot pour les travailleur.euse.s.»
«Pas de politique sur les marches»
Le Festival, lui, a publiquement communiqué son soutien à «Sous les écrans la dèche». Une montée des marches officielle leur a cependant été refusée – «pas de politique sur les marches.» Après leur happening de mardi lors de la cérémonie d’ouverture, le service de sécurité a tenté de bloquer l’accès du palais à tout travailleur arborant le badge au nom du collectif. «Mais ce n’est probablement pas une décision de la direction du Festival, précisent les représentants du collectif. Encore une fois, ils nous soutiennent.» Grève ou non à l’issue de la réunion de mardi, les festivals de cinéma risquent d’être affectés par la précarisation de ces travailleurs sous peu. Car les récentes réformes de l’assurance chômage ont déjà poussé nombre d’entre eux à quitter le secteur, assure le collectif. «Quand on n’a rien pour vivre entre deux missions, on finit par changer de boulot. Les festivals, devenus cruciaux pour l’économie des territoires, vont perdre des gens qualifiés qui connaissent leur métier depuis parfois des années. On est le petit domino qui pourrait faire s’écrouler la machine.»
Article mis à jour le 18 mai 2024 à 16h20 après le discours à Cannes de la ministre de la Culture Rachida Dati.