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Libération
Critique

«Toutes pour une» de Houda Benyamina, coup d’épée dans l’eau

Dans cette version féminisée des «Trois mousquetaires», la réalisatrice de «Divines» n’arrive pas à accorder film contestataire et fiction mainstream.
Oulaya Amamra, Sabrina Ouazani,  Daphné Patakia et Déborah Lukumuena dans «Toutes pour une» de Houda Benyamina. (UGC Distribution)
publié le 21 janvier 2025 à 16h02

En 2016, la réalisatrice Houda Benyamina fait une irruption remarquée dans le paysage cinéma en décrochant, avec Divines, la Caméra d’or du festival de Cannes (présidente du jury, Catherine Corsini), un film de banlieue au féminin (genre ou étiquette contestée par la réalisatrice) qui devait ensuite franchir le cap des 300 000 entrées en France puis recevoir plusieurs césars : meilleur premier film, meilleur espoir féminin pour Oulaya Amamra, meilleure actrice dans un second rôle pour Déborah Lukumuena, toutes deux au casting de ce nouveau film. En presque dix ans, elle n’avait plus retourné de long métrage, apparaissant à la réalisation de deux épisodes de la série The Eddy pour Netflix, coproduite par Damien Chazelle, et en cosignature de Salam, sur Prime, première interview de la rappeuse Diam’s depuis son interruption de carrière. En réalité, elle désirait faire cette version féminisée des Trois mousquetaires depuis 2019, un bail, mais le projet a de toute évidence mis du temps à émerger. Les deux épisodes de l’adaptation Pathé avec notamment François Civil et Vincent Cassel, sorties en 2023, étaient des productions ultra coûteuses qui ont moissonné un large public et réveillé la flamme d’une passion française pour Dumas, encore confirmé par le Comte de Monte-Cristo en 2024, dont on apprenait à la rentrée que TF1 développait une version au féminin avec Audrey Fleurot.

Ici, l’intrigue est réduite à pas grand-chose, la fuite de la reine en direction de Madrid, les soldats de Richelieu à ses trousses et trois mousquetaires cherchant à les prendre de vitesse, rejoint par une prisonnière morisque – issue de la communauté des musulmans espagnols convertis au catholicisme et chassés de France sous le règne de Louis XIII. Quatre femmes travesties en hommes, la poitrine enserrée dans du tissu, des poils de fausse barbe collée sur le visage et jusqu’à une fausse bite pour un niveau de vraisemblance maximum (même si probablement inconfortable à cheval…). Il est évidemment intéressant de voir comment on peut faire vivre l’héroïsme combatif des personnages d’un roman classique dès lors que leur force ou désinvolture devenue quasi proverbiale se double d’un enjeu de dissimulation tactique de leur identité de genre dans un monde massivement macho et ponctué de coup bas et bastons.

Projet féministe et inclusif qui cherche à renouveler ou bousculer les critères de ce que peut être une fiction d’aventure en costumes dans de très beaux paysages d’Occitanie et de Méditerranée, la promesse est engageante mais le film, lui, est étrangement atone et inoffensif. Rien, jamais, ne semble tranché entre les exigences d’un film contestataire ou critique – et les impératifs d’une fiction mainstream, pas plus d’ailleurs que la part de ce qui relève des codes d’un genre (le film de cape et d’épée) ne paraît toujours bien accordée avec les messages que le film veut faire passer tel cette pénible scène de tentative de viol où les femmes mousquetaires, reprenant le dessus, laissent derrière eux un tas de trois cadavres masculins, nus, très complaisamment cadré comme trophée d’une inversion de rapport de force. Assez accordé avec ce qu’on pourrait appeler une «esthétique plateforme» qui vise à assumer des intentions mais sans se préoccuper le moins du monde de la réalité du substrat personnel qui peut y être injecté. De fait, il n’y est pas.

Toutes pour une de Houda Benyamina avec Oulaya Amamra, Sabrina Ouazani, Déborah Lukumuena, Daphné Patakia… 1h37.