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Libération
Art contemporain

«Un été au Havre» à pied d’œuvres

De la gare habilement mise en lumière à la nouvelle devise sur la mairie, l’édition 2023 de la manifestation d’art contemporain honore le passé industriel de la ville, sous la houlette de son nouveau directeur.
«It Owl» de Stefan Rinck. (Anne-Bettina Brunet)
publié le 29 août 2023 à 18h44

Gaël Charbau, le nouveau commissaire d’un «Un été au Havre», n’a visiblement pas eu le cœur de remiser les vieilles marmites. En héritier du grand manitou Jean Blaise qui a essaimé un peu partout sa formule d’alchimiste; de Nantes, sa ville laboratoire, jusqu’au Havre où il pilotait la manifestation depuis 2017, transformant l’art contemporain en redoutable levier de développement touristique et économique, il a repris grosso modo les mêmes recettes que son prédécesseur. Soit un parcours dans la ville où les œuvres, souvent monumentales ou suffisamment incongrues pour séduire les enfants et clouer le bec à ceux qui pensent que ces mêmes enfants auraient pu en faire autant, jouent les points d’étape. Objectif : faire découvrir le territoire autrement, en proposant par exemple une géographie davantage tournée vers les docks, et tout ce qui évoque de près ou de loin le passé industriel dont Blaise, et Charbau à sa suite, ont fini par remarquer qu’il offrait un remarquable fond d’écran aux œuvres.

Tiny house affamée

«Au-delà d’un «parcours d’art dans la ville», j’ai souhaité que l’art lui-même parcoure la ville et la traverse, à la manière d’un frisson. Qu’il dépasse la frontière entre les espaces privés et publics, qu’il s’étende sur de nouveaux quartiers, qu’il déborde délicatement de la saison estivale», tente le commissaire de cette 7e édition dont l’extinction des feux est programmée au 17 septembre. En attendant une nouvelle impression soleil couchant à l’été prochain.

Cette année, le voyage commence dans la gare, très habilement mise en lumière par Isabelle Cornaro qui s’est inspirée des vitraux du grand chef-d’œuvre – sans équivalent celui-là – de la ville : l’église Saint Joseph, toute en béton armé et proportions hors normes, dessinée par Auguste Perret qui reconstruisit la ville après sa destruction quasi-totale au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Après avoir croisé un fantôme des éditions passées, une tiny house affamée signée Erwin Wurm, c’est surtout l’intervention discrète autant que solennelle de Mathieu Mercier qui retient l’attention. Sur le fronton de la mairie, où Edouard Philippe n’en finit plus de scruter l’horizon, Mercier a augmenté la devise républicaine d’autres mots d’ordre : volupté, diversité, curiosité, créativité. Tout un programme (politique). Même si un drôlissime «encoraté» a fini par se glisser au milieu de l’inventaire.

Lourd héritage

On s’arrêtera également devant le solide radeau en bois sculpté du jeune Pier Sparta qui revisite le passé colonial et les tragédies migratoires en se lestant d’un lourd héritage esthétique (comment ne pas penser à Géricault autant qu’à Zadkine ?), et, dans un autre registre, devant les grands muraux de Grégory Chatonsky. Sur 25 pignons (et 25 000 cartes postales en libre distribution), celui qui a fait de l’intelligence artificielle son outil autant que son objet d’étude théorique, a délégué à la machine la digestion d’un impressionnant corpus iconographique appartenant aux archives de la ville. Sur un même plan et dans des images branques mais toujours teintées de réalisme, le passé et le futur sont télescopés «comme si la réalité entière avait subi une légère inclinaison et emprunté un tout autre chemin que celui que nous connaissons». Chatonsky reviendra l’an prochain, et l’année d’après, pour tenter de circonscrire une nouvelle fois la forme de cette ville.

La 7e édition d’Un été au Havre, jusqu’au 17 septembre.