Romans
Sylvie Wojcik, Les dernières volontés de Heather McFerguson
Arléa, 144 pp., 17 €.
Un fils d’antiquaires parisiens, libraire après avoir été archiviste, c’est dire quel est son monde, est contacté par un notaire d’Inverness (Ecosse). Heather McFerguson lui lègue sa maison à Applecross. Aloïs – «Al what ?» - n’a aucune idée de qui peut être cette dame. Il se rend sur place, interroge les gens du village, prend possession des lieux (la maison, le pub), des paysages et des sons (la cloche des marées), se fait des amis. «Le hasard l’a fait naître à Paris et, comme le vent ne l’a pas poussé plus loin, il y est resté. Jusqu’à la lettre d’Inverness. Aujourd’hui, quelque chose d’inexplicable, plus profond même que la volonté de percer le mystère, le retient sur cette terre écossaise.» Le même genre de charme agit à la lecture. Naturellement, il s’agira de savoir en quoi son vieil exemplaire du Seigneur des anneaux relie Aloïs à Heather, mais le thème du roman – le troisième de Sylvie Wojcik – tourne autour de l’apaisement. C’est communicatif. Cl.D.
Céline Zufferey, Nitrate
Gallimard, 253 pp., 19,50 € (ebook : 13,99 €).
A sa table de montage, Constance manipule le temps et l’espace. Monteuse, la jeune femme cherche avec les rushes à tracer un récit. Quand elle active une caméra, c’est chez elle avant de sortir et après avoir vérifié qu’aucune lumière n’est allumée, ni robinet ni fenêtre ouverts. Elle s’assure aussi plusieurs fois que les portes sont bien fermées. «Plus elle recommence, moins elle est sûre. Elle envie à les haïr ceux qui ne doutent pas.» Cette douce obsessionnelle, passionnée par la personnalité d’Alice Guy (1873-1968), la première femme réalisatrice, écume pourtant des archives et des endroits poussiéreux à la recherche d’un film en particulier, Bataille de boules de neige. Le nitrate, c’est la matière de la pellicule du début du XXe, hautement inflammable, à en devenir «monstrueuse». Nitrate est une enquête captivante, de fil en aiguille, de flashs d’histoire du cinéma aux lieux contemporains de sa mémoire, avec comme héroïnes Alice Guy et une Constance déterminée. Celle-ci parvient à faire émerger un passé, un des plus forts passages du livre la confronte avec un lointain descendant du forain Ernest Grenier, à l’empilement de morceaux de manèges et de stands de son théâtre électrique dans un box de stockage… où elle rêve justement de trouver l’aiguille… Le deuxième roman de Céline Zufferey après Sauver les meubles (2017), sublime avec sensibilité le destin d’Alice Guy, avec un personnage fragile et créatif assez inoubliable. F.Rl
Camille Islert, Un chat à trois pattes
Grasset, 240 pp., 20,90 € (ebook : 15 €).
«Gardienne féroce de son expérience, elle n’a rien appris à sa fille des choses essentielles.» Il est question ici de Marianne. Elle va bientôt mourir, à l’hôpital, et le fait qu’elle vive ses dernières heures ne déclenche pas la tendresse de sa fille, Eva. Un chat à trois pattes est un premier roman sur les parcours boiteux, les initiations, les aveuglements, les maladresses des uns envers les autres. Eva a 30 ans seulement mais elle rassemble ses souvenirs comme si elle avait 1 000 ans, incitée à le faire par l’imminence de la disparition de sa mère. Il y a de jolis passages sur la découverte du désir et du plaisir, sur la rivalité entre un frère et une sœur, l’autonomie qu’une jeune adulte arrache et aménage. Il y a également des clichés sur les hommes et leur comportement avec les femmes. Heureusement Eva réalise qu’elle n’est pas uniquement une victime : «Elle aurait pu dire simplement qu’elle avait peur des gens, partout, tout le temps, pas seulement des hommes, pas du harcèlement, du danger, mais des gens en général […]» V.B.-L.
Katie Kitamura, Intimités
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Céline Leroy. Stock «La cosmopolite», 253 pp., 20,90 € (ebook : 14,99 €).
Une jeune femme arrive de New York pour travailler à la Cour pénale internationale à La Haye en tant qu’interprète. Ville nouvelle, nouveaux amis, nouvel amant, nouveau travail. Tous les sens en alerte, elle observe et relève les faits presque administrativement comme pour repousser l’analyse et le repliement sur soi, l’intrus. Peu à peu une sorte d’étrangeté et d’insécurité s’installent. Les frontières entre le connu, le re-connu et l’inconnu s’estompent. Entre vaguement familier et complètement étranger, il reste peu de place à l’intime et le sens se perd, comme dans une version allégée d’Epépé de Ferenc Karinthy. «Interpréter c’est être occupé par une autre voix», dit Katie Kitamura dans une interview. Occupé comme envahi ? Et si notre voix n’est plus entièrement la nôtre, que les limites deviennent poreuses en tout, à quel moment est-on soi au sein de nos intimités brouillées ? N.A.
Récits
Marisol Drouin, Jumeau jumelle
La Peuplade, 96 pp., 17 € (ebook : 12,99 €).
Enfants, ils étaient pourtant proches l’un de l’autre. Chaussés de leurs bottes de pluie, ils partaient en direction des champs de Baie-Saint-Paul recueillir les animaux blessés. Et les soigner avec leur père médecin. Mais, une fois adulte «une distance s’était peu à peu immiscée» entre eux. Les causes ? «Le travail. La famille» ou encore la maladie. L’un a une tumeur logée au cœur de son cerveau, l’autre de son sein. D’une écriture saccadée et vive, Marisol Drouin se confesse. Enfermer son frère et leur cancer dans cette autofiction est pour elle une manière de contrôler - d’avoir le plaisir de recommencer et de se souvenir - face à la peur. Elle ne le sait pas encore : «la maladie n’est pas la mort. Elle est encore la vie. Une vie atteinte. Le désir ne s’enflamme que dans l’invention de la mort, dans sa menace immédiate. Il ne survit pas au temps long de la maladie.» C.G.D.
Douna Loup, Boris, 1985
Zoé, 160 pp., 17 € (ebook : 10,99 €).
En pleine dictature, en janvier 1985, le grand-oncle de la romancière Douna Loup disparaît au Chili à 44 ans. Son sac à dos est retrouvé près d’une rivière. Boris Weisfeiler avait l’habitude de faire du trekking en solitaire. Il était parti en Alaska dans des conditions extrêmes peu de temps avant. Des notes de voyage incluses dans le récit de sa petite-nièce relatent ce séjour de juin 1984. Boris Weisfeiler – son visage est reproduit sur la couverture du livre, il a le physique de l’emploi – vit dans des cabanes, rencontre un ours qui le menace. Il écrit : «Cette zone est donc fréquentée par de grands prédateurs, et j’ai décidé de réfléchir aux stratégies à adopter, au cas où». Six mois plus tard quels êtres hostiles a pu rencontrer l’oncle Boris ? Douna Loup raconte avec sensibilité les investigations qu’elle a menées, à la suite de sa grand-tante Olga, aux Etats-Unis et au Chili. Peu à peu se dessine le portrait d’un homme brillant et secret. Il était né dans une famille juive d’Union soviétique, avait émigré aux Etats-Unis, était mathématicien. L’enquêtrice suit différentes pistes, pense être tout près de la vérité mais en vain lors de sa rencontre avec un ancien policier qui, elle le sent, ment. Sur toute l’affaire rôde l’ombre sinistre de la Colonia, une secte allemande, proche des tortionnaires de Pinochet. F.F.
Dictionnaire
Maxime Morin et Marguerite Hennebelle, Dictionnaire de la vie postmoderne
Equateurs, 128 pp., 16 €.
Le comique «est une affaire éminemment sérieuse». En atteste ce dictionnaire «de la vie postmoderne» que toute personne déconcertée par notre société pourra consulter au besoin. B comme «Banalités» («Pilier du vivre-ensemble. Exemple : «Qu’as-tu mangé à midi ? — Un steak-frites. — Formidable»») ou «Boomer» («A toujours tort»). C comme «Cinéma» : «Mort. Voir Séries.» S comme «Séries», donc : «Tout le monde en regarde.» Une autre définition ? «Militantisme» : «Divertissement de l’électorat de gauche». Allez, une dernière, en X : «Les sites «X» sont rendus absolument inaccessibles aux mineurs grâce à une boîte de dialogue qui leur demande de confirmer leur âge». Par Maxime Morin (aux textes) et Marguerite Hennebelle (aux dessins), les créateurs du compte Instagram générationnel et décalé WikiHow Museum. T.St.
Biographie
Danielle Michel-Chich et Thérèse Clerc, Antigone aux cheveux blancs
Nouvelle édition augmentée, Des Femmes-Antoinette Fouque, 144 pp., 8 €.
Ce petit livre retrace la vie mouvementée de la vie aux multiples facettes d’une passionaria du mouvement féministe, des années 70 (au Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception, Mlac, notamment) à sa disparition en 2016. Elle a créé la Maison de femmes à Montreuil et la Maison des babayagas (maison de retraite atypique autogérée, inaugurée en 2013). Le texte inédit de son amie Danielle Michel-Chich la fait apparaître comme une des fondatrices du mouvement MeToo. G.D.P.