Plusieurs de vos commentaires sur l’ex-directive Bolkestein m’incitent à penser que la portée du travail
accompli depuis un an par le Parlement européen et le Conseil des ministres n’a pas été compris. Certains continuent à raisonner comme si rien ne s’était passé depuis janvier 2004, date de présentation de la proposition originale! Une nouvelle explication me paraît donc nécessaire afin de recadrer le débat.
La directive « services », telle qu'elle a été amendée par le Parlement et le Conseil des ministres, ne vise plus qu'à supprimer les obstacles administratifs INJUSTIFIÉS à la liberté d'établissement et à la libre prestation de services, à abattre les frontières existantes, si l'on veut. Elle ne concerne absolument plus la question du droit applicable (notamment au contrat). Ce texte, comme l'explique un diplomate français, « est redevenu une directive marché intérieur comme une autre ».
Il sera toujours possible qu’un Etat décide de maintenir des exigences particulières pour telle ou telle profession, mais il faudra les justifier par des raisons d’ordre public, de sécurité publique, de santé publique ou de protection de l’environnement. Tous les autres obstacles devront être démantelés. Par exemple, la France ne pourra plus exiger qu’un plombier belge venant effectuer la pose d’une salle de bains à Lille fasse d’abord vérifier ses outils par l’administration… Je vous invite vraiment à lire le rapport de la Commission sur les obstacles à la libre prestation de services. Il faut, de ce point de vue, être clair : demander à un professionnel d’accomplir toute une série de démarches administratives, souvent complexes et coûteuses, sans raison particulière, c’est du protectionnisme !
Pour les marchandises, l’Union a procédé de la même manière : par exemple, la France n’admettait, avant la réalisation du marché unique, que des boîtes de petits pois pesant tel ou tel poids et ayant telle ou telle taille… Cela ne rendait pas l’importation de petits pois en France impossible mais simplement difficile : il fallait plusieurs chaînes de production, ce qui impliquait des coûts supplémentaires et donc des prix plus élevés. Ce sont ces barrières aux échanges que l’Union a supprimé. Cela a été vrai pour les marchandises, pour les personnes (plus besoin de carte de séjour, les droits sociaux sont conservés d’un pays à l’autre, etc), pour les capitaux et ce sera vrai pour les services et les entreprises. Dans ce dernier cas, contrairement à ce que certains semblent croire, la directive vise essentiellement les PME et non les multinationales qui se moquent royalement des barrières administratives et juridiques.
Mais le risque de « dumping juridique» institutionnalisé est écarté. Il n'est plus question que celui qui change de pays se déplace avec autour de lui une « bulle juridique ». Le ressortissant communautaire qui exécute une prestation dans un autre pays sera soumis à toutes les lois impératives dudit pays (une partie du droit du travail dont le salaire minimum, tout le droit pénal –donc la protection des consommateurs et le droit de l'environnement-, etc) dans la même mesure qu'aujourd'hui. En revanche, les deux parties au contrat (c'est-à-dire celui qui fait poser sa salle de bains et le plombier belge) pourront parfaitement décider de le soumettre au droit belge : c'est déjà le cas aujourd'hui et la directive ne change rien de ce point de vue. Même chose pour les prestations sociales ou les impôts : les directives et conventions bilatérales existantes font dépendre l'imposition du lieu de principal établissement du professionnel.
En résumé, ce texte va effectivement accroître la concurrence entre les professions même si personne ne sait dans quelle proportion : la France, dont 75% du PIB provient du secteur tertiaire, a tout à y gagner et c'est pour cela qu'elle a réclamé cette directive de libéralisation, en 2000, lors du Conseil européen de Lisbonne (Jacques Chirac et Lionel Jospin main dans la main).