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Libération
Blog «Coulisses de Bruxelles»

Impunité à la française

Lundi 23 octobre, Jeffrey Skilling (photo AP), ancien patron d’Enron, a écopé d’une peine de 24 ans et 4 mois de prison ferme pour son rôle dans la faillite frauduleuse d’Enron. Sa fortune, estimée à 45 millions de dollars a été saisie. Désormais, les criminels en col blanc sont traités comme les autres. Aux Etats-Unis, du moins. Ce n’est pas le seul exemple de lourdes peines frappant des capitaines d’industrie : par exemple, l’ex-PDG de WorldCom, Bernie Ebbers, a été condamné à 25 ans de priso
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publié le 29 octobre 2006 à 18h25
(mis à jour le 16 février 2015 à 16h15)

Lundi 23 octobre,

Jeffrey Skilling

(photo AP), ancien patron d’Enron, a écopé d’une peine de

24 ans et 4 mois deScan_skilling380 prison ferme

pour son rôle dans la faillite frauduleuse d’Enron. Sa fortune, estimée à 45 millions de dollars a été saisie. Désormais, les criminels en col blanc sont traités comme les autres. Aux Etats-Unis, du moins. Ce n’est pas le seul exemple de lourdes peines frappant des capitaines d’industrie : par exemple, l’ex-PDG de WorldCom,

Bernie Ebbers

, a été condamné à 25 ans de prison, tout comme

Dennis Kozlowski

et

Mark Swartz

du conglomérat industrile Tyco, ou encore,

John Rigas

, fondateur du cablo-opérateur Adelphia, qui effectue une peine de 15 ans de prison.

Ces peines –que je trouve ahurissantes qu'elles s'appliquent à un criminel de droit commun ou à un voyou- doivent nous faire réfléchir. Pourquoi en parler ici ? Parce qu'il a beaucoup été question sur ce blog d'économie de marché et « d'hyperlibéralisme », certains faisant du système américain le symbole de toutes les dérives d'un capitalisme sauvage, dont l'Union européenne serait le cheval de Troie, et du « modèle français », le symbole de ce qui doit être sauvegardé (éventuellement en l'améliorant aux marges). Evidemment, c'est faux. La France n'a ni besoin de l'Europe, ni des Etats-Unis pour entretenir ses propres dérives provenant d'une savante mixture qu'on appelle sous nos cieux, « l'économie mixte de marché », en réalité le cumul des désavantages.

Rappelons qu’en février 2005, l’énarque

Jean-Yves Haberer

(photo, deuxième en partant de la gauche) dont les délires à la tête du Crédit Lyonnais entre 1988 et 1993 ont coûté à l’Etat 15 milliards d’euros, a écopé d’une peine de 18 mois avec sursis et d’un euro de dommages et intérêts. Tous nos tycoons à la française (de

Jean-Marie Messier

à

Michel Bon

en passant par

Noël Forgeard

), dont la seule prise de risque a été de passer le concours de l’ENA ou, à la limite, de Polytechnique, et qui ne doivent leur promotion, à la différence des patrons américains, qu’à leurs amitiés au plus haut niveau de l’Etat (dernier exemple en date, la promotion de

Jean-François Cirelli

, ancien conseiller économique de Jacques Chirac à la tête de Gaz de France bientôt privatisé pour son plus grand profit, parions-le), sont ainsi assurés de très hauts salaires et, en cas d’échec, d’un mirifique golden parachute (à la

Philippe

Jaffré,

l’ex-PDG d’Elf aujourd’hui réfugié fiscal en Belgique). Le tout, avec la certitude que les juges se montreront particulièrement compréhensifs…

Or ce « modèle » où les élites gouvernementales font main basse sur les joyaux de la couronne en toute impunité, n'est une simple conséquence de l'économie de marché, pas plus qu'il n'est la conséquence de marché unique européen. Aux Etats-Unis, le système, que vu d'ici nous trouvons sauvage, s'autorégule, produit ses propres anticorps. C'est vrai de la plupart des autres pays européens. En France, l'Etat empêche cette production d'anticorps -puisque les gouvernants d'aujourd'hui seront les patrons de demain- d'où le sentiment croissant d'injustice. Ce n'est pas la peine de chercher un bouc émissaire ailleurs.