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Libération
Blog «Coulisses de Bruxelles»

A quoi servent les journalistes de télévision ?

Regarder une émission politique est un calvaire ces temps-ci. On voit les différents candidats aligner des contrevérités, des mensonges, des erreurs sans qu’aucun journaliste présent sur le plateau ne les contredise. Tout est permis, pourquoi se gêner ? TF1 en a tiré –involontairement- la conséquence logique en les supprimant et en mettant directement face-à-face « les » citoyens et le candidat. Si le journaliste est là pour passer les plats, autant faire des économies de masse salariale. Diman
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publié le 20 mars 2007 à 20h13
(mis à jour le 16 février 2015 à 16h15)

Regarder une émission politique est un calvaire ces temps-ci. On voit les différents candidats aligner des contrevérités, des mensonges, des erreurs sans qu’aucun journaliste présent sur le plateau ne les contredise. Tout est permis, pourquoi se gêner ? TF1 en a tiré –involontairement- la conséquence logique en les supprimant et en mettant directement face-à-face « les » citoyens et le candidat. Si le journaliste est là pour passer les plats, autant faire des économies de masse salariale.

Dimanche soir, sur France 3, Nicolas Sarkozy s'est une nouvelle fois déchaîné contre l'Europe. Hier soir, sur France 3, rebelote : j'ai assisté à un bref échange au cours duquel Vincent Peillon, député européen socialiste, a repris à son compte l'argumentaire du candidat de l'UMP contre « l'euro surévalué » et l'affreuse Banque centrale européenne (BCE). Ecoeuré par l'incapacité des journalistes à leur répondre –et comme en France toute la classe politique, hormis l'UDF, est d'accord pour taper sur l'Europe, les seuls contradicteurs possibles sont justement les journalistes-, j'ai rapidement zappé.

Musique désormais connue, Sarkozy et Peillon n'hésitent pas à affirmer qu'il faut mettre fin à la « politique de l'euro fort », qu'il faut faire, selon l'expression du candidat de l'UMP,  <em>« avec l'euro ce que les Américains font avec le dollar, les Japonais avec le Yen et les Chinois avec le Yuan ».</em> Une seule question aurait pu et dû lui être posée : <strong>comment</strong> ?

Comment, par exemple, enrayer la chute actuelle du dollar (ce n’est pas l’euro qui monte) qui est due aux mauvais chiffres de l’économie américaine et au ralentissement brutal du marché immobilier ? En intervenant sur les marchés ? Mais, comme je l’ai déjà expliqué

, aucune banque centrale au monde n’a les moyens de soutenir une monnaie dont les investisseurs se détournent. Et avant même d’intervenir

sur les marchés, il faudrait en finir avec l’indépendance de la BCE : Sarkozy et Royal peuvent-ils affirmer aux Français qu’ils vont réunir l’unanimité des Vingt-sept sur un tel programme ? Vont-ils ensuite parvenir à convaincre nos partenaires d’importer chez nous le « modèle chinois » qui suppose, si l’on veut contrôler sa monnaie, une économie fermée (contrôle des changes) et largement dirigée par l’Etat ?

Que Sarkozy et Royal nous expliquent comment on « manipule » sa monnaie dans un marché des changes flottant. Qu'ils nous expliquent comment l'économie américaine a survécu avec un dollar à dix francs (rappelez-vous, c'était au début de la présidence Reagan). Qu'ils nous expliquent pourquoi le dollar ne grimpe pas alors que les taux d'intérêt américains sont supérieurs aux nôtres depuis longtemps et pourquoi une baisse du Refi américain, décidée par eux, aurait un effet que n'a pas le différentiel de taux actuel. Qu'ils nous expliquent comment ils vont convaincre les Banques centrales des pays tiers de ne pas rééquilibrer leurs réserves en euros (ce qui contribue à le renchérir et à faire baisser le dollar). Qu'ils nous expliquent aussi pourquoi la France est la seule économie de la zone euro à souffrir de « l'euro fort » alors que l'Allemagne et même l'Italie gagnent des parts de marché à l'export. Et pourquoi personne ne dit que sans l'euro fort, nous aurions connu un choc pétrolier qui nous aurait mis à genoux ? La seule pauvre tentative de réponse qu'a tenté d'apporter un journaliste à Peillon a été de lancer : « il faudra convaincre M. Trichet ». Mais le convaincre de quoi exactement ? Le socialiste n'a même pas répondu.

Sarkozy, jamais à cour d’inélégance, s’en est aussi pris, dimanche soir, à

Lucas Papademos

(photo), le

vice-président de la BCE, qui selon lui, a été le ministre des finances de la Grèce : « on s’est aperçu que l’on disait que la Grèce avait 3% de déficit (en 2001, ndlr), ils en avaient 6%. Alors, avant de donner des leçons… ». Le problème est que Papademos n’a jamais été ministre des finances de son pays mais gouverneur de la Banque centrale, ce qui n’est pas exactement la même chose en matière de trucage des comptes publics.

Le même Sarkozy a enfin mis en cause les conditions inéquitables des échanges entre l’Union et ses principaux partenaires commerciaux. Là, il a raison : il y a clairement un problème, notamment avec la Chine. La seule difficulté est que les mesures qu’il propose ne peuvent être prises qu’au sein de l’OMC afin d’obliger nos partenaires à respecter un minimum de contraintes environnementales et sociales. Ou alors, il faut déclencher une vraie guerre commerciale avec la Chine (et l’Inde, au passage), soit un tiers de l’humanité, Pékin risquant de nous faire payer un prix très élevé. Il oublie aussi de dire que la Chine tient à bout de bras les Etats-Unis et qu’il pourrait bien lui venir à l’idée d’arrêter d’acheter des bons du trésor américains pour se tourner vers la zone euro…ce qui ferait chuter le dollar et nous étranglerait. Ce n’est pas simple ? Non, mais le téléspectateur n’en saura rien !

<strong>Or, le minimum que l'on puisse attendre des journalistes dans une démocratie est qu'ils jouent leur rôle en précisant et en rectifiant les faits et qu'ils posent les bonnes questions. Cette abdication des médias audiovisuels n'a qu'une explication rationnelle : les journalistes ne connaissent tout simplement pas leurs dossiers.</strong>