J’ai lu, durant mes vacances, un livre passionnant de
[ Gitta Sereny ]
:
. Cet ouvrage, paru pour la première fois en anglais en 1974 et en français en 1975, vient d’être réédité par les éditions Denoël. J’ai découvert son existence en écoutant un dimanche matin l’émission d’Alain Finkielkraut sur France Culture qui a eu la bonne idée d’inviter cette journaliste d’origine hongroise vivant à Londres. Cette grande dame qui a assisté, à 13 ans, au congrès nazi de Nuremberg, a interviewé durant soixante-dix heures, en 1971, celui qui fut le « Kommandant » des camps d’extermination de Sobibor et de Treblinka (photo ci-contre). Le Tribunal de Düsseldorf venait tout juste de le condamner, le 22 décembre 1970, à la prison à vie pour le meurtre de 900.000 personnes (essentiellement juives). Stangl avait trouvé refuge en 1948 au Brésil et l’on doit à Simon Wiesenthal de l’avoir retrouvé. Par une curieuse coïncidence, l’ex « Kommandant » est mort d’une crise cardiaque, le lendemain du dernier entretien qu’il a eu avec Sereny, à 63 ans.
Cela n’a pas grand rapport avec l’objet de ce blog, mais j’ai envie de vous parler de ce livre car je suis encore sous le choc, comme je l’avais été en lisant, à vingt ans, les confessions du «Kommandant» d’Auschwitz, Rudolf Höss. Gitta Sereny, infiniment mieux que ne le fait Jonathan Littell dans son roman « les bienvaillantes », nous permet de comprendre comment un jeune et petit officier de police autrichien s’est, par lâcheté avant tout, retrouvé au cœur de la machine exterminatrice nazi. Sa capacité à s’autojustifier et à s’absoudre est proprement stupéfiante.
Il ne s’agit pas seulement d’un livre d’entretiens, mais d’une véritable enquête historique, Sereny recoupant les affirmations de Stangl avec celles de ses subordonnés et de ses supérieurs encore en vie (dont la plupart s’en sont souvent sortis avec des peines symboliques vue l’ampleur du crime) et des rares survivants de Sobibor et de Treblinka (ceux qui sont parvenus à s’évader lors de la révolte de ces deux camps, en 1943). On apprend ainsi que les quatre camps d’extermination (Sobibor, Treblinka, Belzec,
Chelmno) ont fonctionné avec moins d’une centaine de SS et encore la plupart d’entre eux étaient-ils Autrichiens. L’essentiel du « travail » a été effectué par les auxiliaires lituaniens (les plus féroces selon les témoignages) et ukrainiens.
Surtout, et c’est là où je veux en venir, on découvre que l’extermination des juifs n’était nullement un secret que l’on a découvert à la fin de la guerre. Dès le début de la campagne de Russie et les premières exécutions de masse commises par les Einsatzgruppen, les alliés et le Vatican ont été parfaitement informés. En particulier, l’existence des camps était connue dès leur construction (printemps 1942) grâce à la résistance polonaise (le chef de gare de Treblinka a tenu une comptabilité précise du nombre de juifs exterminés en dix-sept mois : 1.200.000). Mais les Américains, en particulier, n’ont pas révélé ce qui se passait afin de ne pas être accusé de « mener une guerre pour les juifs », cela ne s’invente pas. En réalité, beaucoup de gens savaient ce qui se passait, surtout en Pologne (les paysans continuaient à cultiver leurs champs autour des camps…) : les SS interrogés par Sereny s’amusent beaucoup quand on leur dit que l’extermination était secrète.
Ce qui ressort, à la lecture du livre, ce n’est pas seulement l’horreur du génocide, c’est aussi le silence, que je qualifierais de complice, du Vatican (alors dirigé par Pie XII) et des alliés. Un exemple terrible : les Britanniques, en dépit de ce qu’ils savaient, ont continué à limiter l’immigration des juifs. Londres refusa, en particulier, qu’un navire en très mauvais état, transportant 428 hommes, 269 femmes et 70 enfants, des juifs fuyant la Roumanie, accoste en Palestine, en janvier 1942. Le bateau coula en pleine
mer entraînant la mort de tous les passagers... Fuir le génocide pour se heurter à l’indifférence des démocraties. Comme le dit si bien Nicolas Sarkozy, la France n’a certes
« pas inventé la solution finale »
. Mais, à son niveau, elle y a activement participé, par ses lois antisémites et l’aide apportée par la police française aux déportations. Tout comme les alliés qui auraient pû révéler au monde l’ampleur de ce qui se passait dans les territoires occupés par le Reich voir bombarder les camps. Gitta Sereny nous rappelle, presque en passant, le prix de la lâcheté, du silence et de l’antisémitisme latent de l’époque. Car, à chaque fois que l’église ou les autorités des pays alliés de l’Allemagne ou occupés se sont opposé aux nazis, le pire a été évité (notamment au Danemark où quatre cinquième des juifs a survécu). A lire ou à relire de toute urgence. Je vais maintenant m’attaquer à un autre livre de Gitta Sereny :
« Albert Speer, son combat avec la vérité »
(le Seuil).