Le « conseiller spécial » de Nicolas Sarkozy, qui se voit jouer, en toute modestie, le rôle qu’interpréta avec talent Jacques Attali auprès de François Mitterrand, gagnerait beaucoup à faire un stage à Bruxelles et à Francfort. Cela lui éviterait de dire des inepties d’une particulière gravité quand on prétend parler d’économie. Ainsi, dans un entretien accordé aux
[ Echos ]
d’aujourd’hui, Henri Guaino (à droite sur la photo) oppose à tort la politique monétaire américaine à celle des Européens.
« Aux Etats-Unis, la monnaie est un instrument de politique économique et la politique monétaire se décide dans un dialogue constant entre le président de la Banque centrale et le gouvernement qui est lui-même compétent en matière de change. Le système européen où le président de la Banque centrale ne dialogue même pas avec le président de l’Eurogroupe est unique au monde ! »
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Croire que la Réserve Fédérale n'est pas aussi indépendante que la BCE est tout à fait inexact : c'est elle seule qui décide de la politique monétaire. Sur la politique de change, l'expression du secrétaire au trésor est très exactement calibrée en concertation avec la Fed. Surtout, encore une fois, le « conseiller spécial » semble ignorer que nous vivons dans un système de change flottant, comme je l'ai déjà expliqué à de nombreuses reprises (ici par exemple). Il faudrait que Guaino, l'homme qui croit que le volontarisme permet tout, explique comment il compte s'y prendre pour faire baisser l'euro, alors que la croissance de la zone euro est supérieure à celle des Etats-Unis et que les marchés sont de plus en plus inquiets des déséquilibres économiques américains.
Mais l’Amérique, c’est loin, on peut ne pas connaître. En revanche, il vit en Europe. On se demande dès lors comment il peut affirmer qu’il n’existe aucun dialogue entre la BCE et l’Eurogroupe ! Car, chaque mois, le Président de la BCE assiste à la réunion des ministres des finances de la zone euro ainsi qu’à l’Ecofin (l’ensemble des ministres de l’Union) et chaque mois, le président de l’Eurogroupe, Jean-Claude
Juncker, participe à la réunion du Conseil des gouverneurs. De même, le président de la BCE rencontre régulièrement en tête-à-tête les ministres des finances et les chefs de gouvernement. Enfin, les sous-gouverneurs des banques centrales de l’Union ainsi que deux représentants de la BCE siègent aux côtés des directeurs du trésor au sein du Comité économique et financier (CEF), l’instance qui prépare la réunion mensuelle des ministres des finances. Même aux Etats-Unis, ce n’est pas le cas (la décision a été prise en septembre 1997, lors d’une réunion à Mondorf-Les-Bains, au Luxembourg).
Bref, contrairement à ce que croit Guaino, le dialogue est constant, serré et fructueux. Simplement, il est vrai que Jean-Claude Trichet, le Président de la BCE (à gauche sur la photo), refuse de l'assumer en public de peur que l'on croit que sa sacro-sainte « indépendance » n'est pas totale. Cette répugnance de Trichet, un haut-fonctionnaire que la France a tout fait pour installer à ce poste, n'était pas partagée par son prédécesseur, le Néerlandais Wim Duisenberg. Il est vrai que ce dernier, mort accidentellement en 2005, a été homme politique avant de devenir banquier central : il connaissait donc l'importance de l'affichage. Trichet donne donc des armes pour se faire battre alors qu'il lui suffirait de reconnaître qu'il discute politique monétaire avec les gouvernements, ce qui n'a rien de déshonorant. Ce qui compte est que ses décisions de politique monétaire soient prises en toute indépendance.