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Blog «Coulisses de Bruxelles»

Faut-il mourir pour la Constitution ?

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Avec un encadré pour tout connaitre du système de vote (passé, présent et à venir). La Pologne semble bien décidée à s’opposer coûte que coûte, lors du Conseil européen de jeudi et vendredi, à l’adoption du système de vote à la double majorité au sein du Conseil des ministres. Ni Nicolas Sarkozy, qui s’est rendu à Varsovie, jeudi, ni Angela Merkel, qui a reçu le Président polonais, samedi, n’ont réussi à infléchir la détermination des jumeaux Kaczynski qui dirige le pays. Vendredi, la Diète pol
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publié le 17 juin 2007 à 18h50
(mis à jour le 16 février 2015 à 16h14)
Avec un encadré pour tout connaitre du système de vote (passé, présent et à venir).

La Pologne semble bien décidée à s’opposer coûte que coûte, lors du Conseil européen de jeudi et

vendredi, à l’adoption du système de vote à la double majorité au sein du Conseil des ministres. Ni Nicolas Sarkozy, qui s’est rendu à Varsovie, jeudi, ni Angela Merkel, qui a reçu le Président polonais, samedi, n’ont réussi à infléchir la détermination des jumeaux Kaczynski qui dirige le pays. Vendredi, la Diète polonaise a voté par 317 voix contre 35 et 23 abstentions une motion de soutien –déposée par l’opposition libérale de la Plate-forme civique- à cette ligne dure :

« la Diète est convaincue que le nouveau traité européen devrait être un compromis qui renforce l’Union au la rend plus efficace, et qui assure à la Pologne une position importante conforme à son potentiel ».

La Pologne n'a reçu que le soutien de la Tchéquie dans cette affaire. Tous les autres Etats membres veulent en rester à la règle retenue par le défunt projet de Constitution européenne qui a l'avantage de la simplicité : une décision est adoptée si elle réunit 55% des pays représentant 65% de la population. Cela étant, la règle est moins simple qu'il n'y parait. En effet, on remarquera que la minorité de blocage est alternative : pour bloquer, il faut réunir soit plus de 45% des Etats, soit plus de 35% de la population alors que la majorité qualifiée, elle, est cumulative.

Surtout, deux bémols ont été introduits par les gouvernements lors de l’adoption du projet de Constitution, en juin 2004. D’une part, il faut que la minorité de blocage de 36% de la population représente elle-même au moins quatre Etats membres, afin de ne pas donner un pouvoir de blocage trop grand à l’Allemagne. D’autre part, une déclaration jointe à la Constitution ressuscite le

« compromis de Ioannina

». Si la majorité qualifiée est réunie de justesse et que les conditions pour l’existence d’une

minorité de blocage sont réunies aux trois quarts - un peu plus d’un tiers des États membres, ou bien des États membres représentant un peu plus d’un quart de la population de l’Union-, la discussion doit se poursuivre si les Etats membres qui s’opposent à la décision en font la demande afin de parvenir à un accord plus large. Cette déclaration s’appliquera durant cinq ans, les Etats membres pouvant ensuite l’abroger à la majorité qualifiée…

C’est pour rassurer la Pologne –ainsi que l’Espagne- que la règle de la double majorité a été assortie de ces deux filets de sécurité. Varsovie, totalement isolée, avait alors accepté à contre-cœur ce nouveau mode de scrutin. Mais le gouvernement social-démocrate de l’époque était à bout de souffle, ce qui n’est pas le cas des jumeaux Kaczynski qui estiment que la Constitution étant morte (du fait des Français et des Néerlandais), tout est renégociable. Comment, dès lors, les convaincre de ne pas poser leur veto ?

Plusieurs solutions ont été évoquées ici ou là : donner plus de députés européens à la Pologne, les « acheter » en les faisant bénéficier plus rapidement de l'argent de la Politique agricole commune, pérenniser le « compromis de Ioannina » ou, mieux encore, le rendre impératif ce qui reviendrait à rendre plus facile la minorité de blocage... Mais il semble que les partenaires de Varsovie ne soit pas entrés dans un tel marchandage : « vis-à-vis de la Pologne, il faut faire de la psychologie », confirme ainsi un diplomate français de haut rang. « Il faut lui faire comprendre qu'un échec imputable à la Pologne seule ne serait pas sans conséquence par exemple sur les Perspectives financières. Il faut aussi lui expliquer qu'un grand pays n'a pas besoin d'avoir des protections particulières, qu'on l'écoute quel que soit le mode de calcul de la majorité qualifiée ». Surtout, il faut essayer de sortir la Pologne de son « ubris du blocage », ironise ce même diplomate.

Cette angoisse de la marginalisation n’est pas nouvelle. Ainsi, lors de l’élargissement de douze à quinze,

c’est l’Espagne qui a eu une poussée d’urticaire. Elle a bloqué durant de longs mois l’élargissement et c’est pour lever son veto qu’a été adopté la première mouture du compromis de Ioannina (en Grèce, photo), en mars 1994 qui prévoyait de poursuivre les discussions si l’ancienne minorité de blocage était réunie.

« En dix ans, il n’a été invoqué qu’une fois par le Portugal pour une histoire de pêche. Au final, d’ailleurs, Lisbonne s’est rallié à la position majoritaire »

, raconte ce diplomate.

Beaucoup reconnaissent que la proposition de la Pologne est loin d'être infondée : en rester au système actuel de la pondération des voix, mais en le réformant (voir encadré). Le problème est que les partenaires de Varsovie estime qu'il est trop tard pour rouvrir cette discussion : « l'urgence est de sortir de ces discussions institutionnels qui nous occupent depuis 1990 pour passer à autre chose », estime le diplomate français déjà cité.

<span><strong>La pondération des voix.</strong></span>

<strong>* Jusqu'au traité de Nice</strong>, la répartition des voix était la suivante:

Allemagne, France, Italie, Royaume-Uni : 10 voix.<br/>Espagne : 8 voix.<br/>Belgique, Grèce, Pays-Bas, Portugal : 5 voix.<br/>Autriche, Suède : 4 voix.<br/>Danemark, Finlande, Irlande : 3 voix.<br/>Luxembourg : 2 voix.

La majorité qualifiée était atteinte avec 62 voix sur 87, soit 71,2% des voix. L'Espagne, lors de son adhésion, en 1986, avait tenté d'obtenir 10 voix comme les grands. Cela lui a été refusé, mais avec 30 millions d'habitants de moins, elle a quand même obtenu 8 voix et…deux commissaires comme les grands.

<strong>* A Nice, en 2000,</strong> on a voulu augmenter le nombre de voix des grands. Ca n'a pas vraiment fonctionné.

Allemagne, Royaume-Uni, France, Italie: 29 voix<br/>Espagne, Pologne: 27 voix<br/>Roumanie: 14 voix<br/>Pays-Bas: 13 voix<br/>Grèce, République tchèque, Belgique, Hongrie, Portugal: 12 voix<br/>Suède, Autriche, Bulgarie: 10 voix<br/>Slovaquie, Danemark, Finlande, Irlande, Lituanie: 7 voix<br/>Lettonie, Slovénie, Estonie, Chypre, Luxembourg: 4 voix<br/>Malte: 3 voix

La majorité est de 255 voix sur 345, soit 73,91%. La majorité qualifiée doit au moins regrouper la moitié des Etats membres et peser au moins 62% de la population. Autrement dit, la minorité de blocage est constituée soit avec 26,10% des voix, soit avec une majorité d'Etats membres, soit avec plus de 38% de la population...

<strong>* La Pologne propose</strong> de revenir à l'esprit du traité de Rome: elle propose d'attribuer un nombre de voix à chaque Etat en fonction de la racine carré du nombre (en millions) d'habitants. Berlin aurait ainsi 9 voix, la France et la Grande-Bretagne 8, la Pologne, 6, les Pays-Bas, 4, les plus petits 2. Et, afin de maintenir l'influence des petits Etats, la majorité qualifiée devrait non seulement réunir 62% des votes, mais aussi une majorité de pays.