Les autorités monétaires européennes cherchent à enrayer la chute rapide du dollar (l’euro a atteint
1,4281 dollar
aujourd’hui). Comme toujours, dans un tel cas, c’est d’abord l’arme de la parole qui est utilisée afin d’avertir les marchés financiers qu’ils vont trop loin.
« Je suis de plus en plus préoccupé »
, a ainsi déclaré aujourd’hui à l’agence de presse Reuters Jean-Claude Juncker, le président de l’Eurogroupe et premier ministre luxembourgeois (photo, avec Jean-Claude Trichet, le président de la BCE).
« Je n’accepterai plus que l’on considère comme normal le fait que l’Europe accepte de gérer à ses propres dépens les conséquences des déséquilibres mondiaux existants »
, claire allusion aux déficits américains et à la sous-évaluation du yuan, mais aussi du yen. «
L’Europe ne peut pas être la région du monde qui supportera les conséquences de l’inaction des autres »
. Joaquin Almunia, le commissaire chargé des affaires économiques et monétaires, a employé exactement le même langage dans le Figaro daté de vendredi. Après s’être dit
« préoccupé »
, il a martelé :
« s’il est question de nous faire payer, à nous Européens, les
conséquences des déséquilibres (mondiaux), on ne peut pas s’attendre à
ce que nous restions passifs ».
Vous remarquerez que les mots sont exactement les mêmes, ce qui signifie que l'opération a été coordonnée avec la Banque centrale européenne (BCE). Il est probable que les treize pays de la zone euro, qui se réunissent lundi prochain à Luxembourg, adopteront un communiqué commun condamnant la « volatilité excessive » du marché des changes. Car, comme l'a justement fait remarquer Ernest-Antoine Sellière, le président du patronat européen, Business Europe, « c'est l'accélération de l'appréciation de l'euro qui gêne surtout, car les entreprises n'ont pas le temps de s'adapter ».
<strong>De fait, la flambée de l'euro face au dollar (et au yen) ne date que de quatre mois. En réalité, depuis la naissance de l'euro, c'est le billet vert qui a été durablement surévalué. Depuis janvier 1999, date de son introduction (à 1,17 dollar), la monnaie européenne n'a cessé de baisser pour atteindre son cours le plus bas en septembre 2000, à 0,82 dollar. Il ne reviendra à parité avec le billet vert qu'en juillet 2002 et ne retrouvera son cours de lancement qu'en mai 2003. Il a fluctué depuis le dernier trimestre 2004 dans une fourchette comprise entre 1,25 et 1,35 dollar (soit + 15 % par rapport à son cours de lancement), une variation qui est dans les normes historiques.</strong>
L’étape suivante, après la réunion de l’Eurogroupe, sera le G7 des 20 et 21 octobre : à cette occasion, l’Union espère bien faire adopter par les États-Unis et le Japon un communiqué demandant aux marchés de se calmer. Ensuite, si jamais cette stratégie ne suffit pas, il ne restera que l’intervention : les banques centrales achètent massivement du billet vert et vendent de l’euro afin de le faire baisser. Mais pour qu’elle soit efficace, il faut qu’elle soit coordonnée entre les grandes banques centrales du monde,
comme cela a été le cas le 22 septembre 2000, lorsque l’euro a atteint 0,8447 dollar. Cette fois-ci, il n’est pas certain que la Réserve fédérale américaine et la Banque du Japon soutiennent une telle opération, la sous-évaluation de leur monnaie faisant, pour l’instant, leur affaire. La BCE risque de se retrouver bien seule, éventuellement soutenue par la Banque d’Angleterre. Surtout, il faut, pour intervenir, attendre le moment précis où les marchés commencent à hésiter. Car les réserves des banques centrales sont limitées : la BCE ne peut compter que sur 150 milliards d’euros alors qu’il s’échange chaque jour 3300 milliards d’euros sur les marchés financiers…
Certes, certains d’entre vous vont me faire remarquer qu’il reste l’arme des taux d’intérêt : si les taux européens deviennent moins attractifs, les capitaux n’afflueront plus dans l’eurozone, ce qui contribuera à faire baisser la monnaie européenne. Le problème est que le raisonnement ne résiste pas à l’épreuve des faits : les taux américains sont supérieurs aux taux européens depuis deux ans, ce qui n’a absolument pas empêché la chute du dollar. Les Européens en ont fait l’expérience : entre le 4 novembre 1999 et le 5 octobre 200, la BCE a augmenté ses taux de 2,5 % à 4,75 % (elle les diminuera après la tempête monétaire à partir d’août 2001), en vain. Le différentiel de taux qui jouait en faveur de l’euro n’a rien changé à la chute de l’euro. Ce qui l’a stoppé, ce sont les mauvaises nouvelles en provenance des États unis et, en particulier, l’élection rocambolesque de novembre 2000 qui a ébranlé la démocratie américaine.
Bref, il va falloir déterminer si les marchés vont continuer à fuir les États-Unis en raison de ses mauvais « fondamentaux » et de la crise immobilière qui n'a pas fini de produire ses effets. Sinon, toutes les interventions risquent de rester vaines. Cette volatilité est le propre du système de change flottant dans lequel le monde vit depuis la fin de la parité dollar-or.
A relire: l'interview que j'ai faite de Christian Noyer, le gouverneur de la Banque de France, en janvier dernier.