Mïrka Lugosi est une poupée faite vamp. Bouche saignante, œil charbonneux, elle pose nue pour son mari — le photographe Gilles Berquet— dans un livre en forme de déclaration d'amour qui porte son nom, et qui, en même temps, lance une véritable déclaration de guerre aux photos de nu habituelles…
Il suffit de voir la couverture pour comprendre : elle affiche avec violence une Mïrka au sourire de louve, seins nus, sinistrement fardée, volontairement menaçante. Objet de désir, oui, mais pas standard, Mïrka montre qu’il est possible d’être érotique sans faire de démagogie… Avec sévérité, avec exigence. Avec froideur presque. Mïrka suggère que l’art de la séduction, c’est savoir ajuster une jarretelle, c’est le souci du téton maquillé, l’obsession quasi-maniaque du pied bien cambré dans d’élégantes chaussures. Icônique, elle fait d’elle-même une magistrale démonstration de discipline érotique.
Mïrka est à la fois la muse du photographe Gilles Berquet, illustratrice, vidéaste et une des plus grandes artistes érotiques françaises : ses dessins sont des auto-portraits idéaux, ou des photos d’elle-même, retouchées avec corsets, serrures, fouets ou candélabres.
Ses livres sont remplis de doubles, des créatures qui jouent à cache-cache sur la scène d'un théâtre surréaliste, mi-lascives et mi-lubriques. Mïrka se dédouble en vamp sulfureuse, en vierge de Nuremberg, en pute, en Lolita. Son corps même, longiligne, est proche du godemiché. Elle en cultive la raideur avec des cols amidonnés, un maquillage au blanc céruse et des bas-couture impeccables, étroitement ajustés à ses cuisses. Je me rappelle avoir mangé avec elle une fois : elle a pris un œuf dur. Et pendant tout ce repas, si frugal, Mïrka s'extasiait : «Oh, quel œuf délicieux.»
«Avant j'étais anorexique, dit-elle. Je me sanglais dans des uniformes stricts. Les gens disaient : «Mïrka salue d'un claquement de talons.» Je vivais avec Zorïn, que j'aimais comme un frère incestueux.»
De Zorïn, on garde l'image hallucinée d'un soldat dans Le bunker de la dernière rafale (court-métrage de Caro et Jeunet) et puis aussi un album sous électrochocs : avec Mïrka —et Ruelgo—, il crée le groupe Entre Vifs qui se produit lors de concerts de musiques industrielles martelées, toutes sirènes hurlantes, froides et métalliques.
«Comme Zorïn, je portais des bottes. C'est après, avec Gilles, que j'ai découvert les talons-aiguilles», dit-elle. A l'époque, Mïrka ne mange presque pas. A la même époque, Gilles Berquet cherche une femme suffisamment mince pour pouvoir entrer dans une robe-momie qu'il a cousue lui-même sur le modèle des fourreaux-bondage de Stanton. Entre eux, c'est le coup de foudre.
«Un jour, en 1994, je suis allée chez Gilles Berquet et c'était comme la caverne d'Ali Baba, se rappelle Mïrka. Des coffres remplis de guêpières, corsets, talons hauts, gaines, un rêve de féminité… J'ai tout de suite voulu poser pour lui. Je ne suis jamais plus repartie.» Un peu comme le prince de Cendrillon, Berquet lui fait essayer la robe qu'aucune femme ne peut enfiler. Miracle : Mïrka s'y glisse parfaitement ! Il tombe amoureux de ce corps qui se plie si docilement aux exigences du fétichisme et de cette tête au minois vénéneux.
Avec ses airs de petite fille cruelle —coupe au carré, bouche rouge raisin—, elle fait une inquiétante Louise Brooks. Berquet l'habille, la maquille et la fait poser. Plus tard, Mïrka retouche les photos pour se les approprier : elle se peint une taille de guêpe extrême et des seins pointus de scorpion, rajoute un peu partout des symboles sexuels —coiffeuse, vases, miroirs, plumeaux, tabouret, bougeoirs, boules de geishas… La photo retouchée, c'est son territoire magique où fantasmes et réalité s'interpénètrent.
En dessin, de la même façon, elle se met en scène avec fantaisie, dans des jardins au clair de lune et des boudoirs tendus de draperies, pleins de portes dérobées. «Ses œuvres sont rarement plus grandes qu'une simple feuille de papier à lettre, écrit Gilles Berquet, et très souvent elles sont plus proches encore de la miniature. En fait, si Mïrka peint en tout petit, c'est, dit-on, parce que son atelier tient sur la table de la cuisine. C'est dans la promiscuité de ce boudoir incongru qu'elle explore les infinies possibilités d'un jeu de dames cruelles fréquenté par des petites filles dévergondées que Hans Bellmer n'aurait probablement pas renié.»
Princesse d'un royaume mystérieux, elle met son sexe lisse sur un piédestal idéal. «Le fétichisme, c'est ça, explique Mïrka : le contraire de la bestialité. J'enlève les poils, je recouvre la nudité de la peau et, avec des carcans qui se lacent ou s'agrafent, j'isole des parties du corps pour les mettre en valeur… Je me transforme en objet de désir.»
Mïrka, étrange objet de désir, femme fatale d'un autre genre… Retrouvez-la, sous ses multiples formes, dans le livre intitulé Mïrka (éd. Marval). Ce livre est accompagné d'un DVD de courts-métrages inspirés des films muets et expressionnistes… Des scènes oniriques ou grotesques se succèdent : Mïrka affublée d'une énorme paire de fesses postiches mime la femme idéale (la femme avec des gros seins, un gros derrière et un maquillage outrancier de poupée gonflable). On voit aussi Mïrka perchée sur des bottines à talons hauts qui lui donnent une démarche de pantin mécanique… Mïrka qui erre dans une forêt, Mïrka qui se promène portant un énorme flocon, morceau de nuage ou coton géant, qui lui masque la moitié du corps…
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