Putain, ça suffit ! Elles en ont assez de se faire insulter. Samedi 22 mars, l'association Les Putes organise la Pute Pride : une marche de fierté pour toutes les travailleuses du sexe. Leur combat vise essentiellement la fameuse LSI, ou «Loi Sarkozy». Rassemblement à 13h, place Pigalle à Paris.
«On est putes, on est fières ! Sarkozy c'est la guerre !» Créée depuis novembre 2005, l'association Les Putes multiplie les faits d'armes.
• PREMIER FAIT D'ARME : RACOLAGE LASCIF DEVANT L'HOTEL MATIGNON
Le 8 mars 2006, une quinzaine de militantes en grande tenue de pute —talons compensés et perruques voltigeantes— racole devant l'Hôtel Matignon, fait de l'œil aux automobilistes et aguiche les passants afin d'exiger la démission de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur. Elles demandent surtout l'abrogation de la Loi sur la Sécurité Intérieure (LSI) du 18 mars 2003, qui rend le racolage passible de 2 mois de prison et 3 750 euros d'amende. Pour les Putes, c'est intenable : cette loi, disent-elles, donne «à la police le pouvoir de mépriser encore plus les putes» et «accentue l'exclusion» des travailleuses du sexe.
Comment voulez-vous travailler quand vous n'avez même plus le droit de faire le pied de grue ? La loi dit qu'être pute c'est légal. Mais dans les faits, être pute c'est devenu l'enfer. Alors, elle crient : «Plus de caresses, moins de CRS !» et s'allongent sur la chaussée pour montrer l'exemple. Une quarantaine de flics rappliquent illico. Ils cernent les manifestantes vautrées sur le bitume.«Restez sur le trottoir», demande un policier. «C'est bien ce que l'on demande !», répond ironiquement l'un des activistes. Les putes sont finalement toutes emmenées dans un fourgon de police. «Contrôle d'identité» et tout le toutim. Mais ça ne les empêchera pas de récidiver…
• DEUXIEME FAIT D'ARME : CREATION DE LA PUTE PRIDE
Le 18 mars 2006, jour-anniversaire de la loi Sarkozy, elles sont environ 200 à défiler dans des T-shirts qui disent en grandes lettres roses fluo : «Je suis fière d'être une Pute». C'est nouveau : la majorité d'entre elles défilent à visage découvert. La tête haute. Pourquoi auraient-elle honte d'être des putes ? «Nous aimons notre métier, nous aimons nos clients : nous sommes fières d'être des Safe Sex Queens, proclame Maîtresse Nikita, une des leaders du mouvement. Nous ne vendons pas nos corps mais proposons des services sexuels, c'est notre métier et nous le faisons bien.»
Les membres de Act Up sont nombreux également. Et pour cause : les putes qui militent au sein de l'association Les Putes sont essentiellement… des hommes. Gays, trans, trav ou bisexuels venus de l'univers très engagé d'Act Up, ils ont appris à ne pas se laisser marcher sur les pieds. Et bien qu'ils soient maquillés shocking, ce sont des mecs. Avantage : aucun proxénète dans les parages. Rien à voir avec de faibles femmes battues et rançonnées.
• NI COUPABLES, NI VICTIMES ?
Sous des bandeaux qui proclament «Ni coupables ni victimes ! Fières
d'être putes», les gagneuses et les tapins ont décidé de se battre.
Leur défilé, qui part symboliquement de la Place Pigalle, passe à
travers les grand boulevards en une bruyante procession composée
de presque autant de journalistes, de cameramen et de photographes de
presse que de militants. Les putes et leurs ami(e)s s'amusent. En 2006,
lorsque j'assiste à leur première manifestation, elles distribuent avec
bonne humeur des tracts aux passants héberlués, tracts réclamant une «régularisation de leur profession», ainsi que des textes de loi les «protégeant dans l'exercice de leurs fonctions». Il s'agit de «faire
reconnaitre notre métier et nos droits humains», disent les tracts, qui
demandent aussi «la fin de la putophobie qui nous maintient dans un
statut de délinquantes ou de victimes». Parmi les organisateurs,
figurent Cadyne, 22 ans, étudiante en droit «travaillant dans un bar à
putes», Thierry (alias Zezetta Star), 23 ans, «qui a commencé à tapiner
porte Dauphine avant de devenir escort boy sur Internet» et
Jean-François (alias Nikita), quadragénaire qui se transforme en
«maîtresse dominatrice» pour ses clients…
• «ET JE VOUS EMMERDE»
Il y a aussi, en tête de défilé, Claire Carthonnet, figure mythique de
la prostitution (qui révéla sa transexualité dans un livre-coup de
poing). Elle est venue spécialement de
Lyon pour participer à cette marche. En 1992, Claire Carthonnet disait
déjà merde au système : «Pour toi, psy ou travailleur social, je suis
pute et tu me prêtes, comme allant de soi, une enfance malheureuse,
remplie de misère et de violence, et je te dis merde. Je suis pute et
pour toi médecin ou lologue tous azimuts, je suis objet à assainir, à
désintoxiquer. Tu veux me prendre en charge, me guérir, me ré-insérer
dans la société. Encore, je te dis merde.» Le discours est radical.
Les putes en ont marre. Marre de ce racisme latent qui se mesure à
l'emploi si courant du mot «putain» pour ponctuer n'importe quel
discours. Marre surtout d'être traitées comme de pauvres crétines,
toutes juste bonnes à se faire taper dessus par un mac.
• POURQUOI ELLES REVENDIQUENT LA FIERTE D'ETRE UNE PUTE ?
Le misérabilisme, c'est presque pire que les insultes pour les
prostituées : elles ne veulent plus passer pour des victimes. Elles en
ont assez du stigmate qui fait que pute = marchandise. Elles ne veulent
plus être assignées au statut d'objets sans cervelle, incapables de «s'en sortir» et condamnées à la déchéance… «Ces amalgames ne nous
rendent pas service, explique Maîtresse Nikita. C'est justement grâce à
eux que le ministre de l'Intérieur a pu faire passer sa loi, assurant
qu'elle permettrait de lutter contre le trafic des femmes.» Confortant
leurs détracteurs dans l'idée qu'être pute c'est forcément être une
victime, les prostituées qui se plaignent s'attirent donc souvent des
critiques dans le milieu. L'ethnologue Catherine Deschamps, qui pendant
cinq ans a arpenté inlassablement les rues chaudes, confirme : sur le
trottoir, «celles qui sont appelées les pleureuses sont déconsidérées» parce qu'elles offrent ainsi «un alibi de choix» aux politiques
qui veulent nettoyer les rues, et aux
féministes/intégristes cathos qui veulent abolir la prostitution.
• LUTTER CONTRE LA VICTIMISATION
Sans compter qu'elles renforcent le stigmate de la pute, handicapant
celles qui voudraient changer de gagne-pain. Que mettre sur son CV
quand on cherche un emploi ? Fille de joie ? Belle de nuit ? Morue ? «La victimisation a un second effet pervers, souligne une prostituée :
il attire fortement les victimes chroniques à se tourner vers la
prostitution. Certaines personnes n'ont pas encore appris comment
exister en dehors de l'attitude de victime et c'est pourquoi elles
cherchent inconsciemment la répétition de leur condition de victime.
Pour arrêter d'être une victime, il suffit de changer sa perception en
confrontant nos fausses croyances, donner un sens à notre travail, et
chercher à acquérir le plus de pouvoir possible sur ses conditions de
travail et de vie.»
• PEUT-ON IMAGINER UNE PROSTITUTION HEUREUSE ?
Pour Catherine Deschamps, il est évident que personne — au départ— ne
rêve de devenir pute : «Les Prostitué(e)s ne disent jamais qu'ils ont
choisi ça au départ, explique-t-elle, mais certains disent que cette
activité leur convient davantage et font le choix d'y rester.» Après
tout, ça présente certains avantages : aménagement des horaires de «bureau», revenus élevés, impression agréable d'être «choisie» (même si
c'est pour 5 minutes seulement)… «D'autres sont malheureus-es dans
cette activité mais elles/ils ont le sentiment que rien d'autre ne leur
est proposé de viable. D'autres encore sont contraintes au trottoir par
des tiers… Pour que les conditions de travail soient meilleures et/ou
agréables pour toutes et tous, il faut tenir compte de la variété des
situations.»
«Ce n'est pas la prostitution qui est un problème, confirme Nikita, mais les conditions dans lesquelles on l'exerce. Oui de nombreuses travailleuses du sexe subissent des sévices… est-ce une raison pour vouloir les éradiquer ? Pourquoi ne pas les aider plutôt à exercer dans de meilleures conditions ?» Les travailleuses du sexe en ont assez qu'on les considère comme des exceptions dans le monde du travail : elles réclament la retraite, le chômage, la sécu, l'égalité des droits avec les autres travailleurs, La pénalisation de toutes les discriminations putophobes et que leur sécurité soit assurée par les forces de l'ordre. Après tout, ne payent-elles pas leurs impôts et leurs taxes, comme nous tous ?
<strong>QUESTIONS A MAITRESSE NIKITA </strong><br/>Prostituée à Paris, co-fondatrice du groupe Les Putes :<br/>«<em>J'aime mon métier, sinon je ne le ferais pas.</em>»
La Loi Sarkozy a-t-elle aidé les prostituées ?
Cette mesure répressive a eu des conséquences dramatiques sur nos vies,
notre santé et nos conditions de travail : rafles et contrôles
policiers qui obligent à travailler dans des endroits isolés ;
confiscation des préservatifs ; racket et violence accrue.
Pourquoi luttez-vous pour rester sur le trottoir ? C'est si agréable ?
Moi je défends le fait de travailler où on a envie, comme on veut. Il
y a des filles qui préfèrent être sur le trottoir car elles sont
plusieurs : si un mec vient les faire chier, c'est plus facile pour se
protéger. Bien sûr, il y en a d'autres qui préfèreraient travailler
chez elles, par petites annonces, mais tout le monde n'a pas
d'ordinateur… Et elles ont peur de travailler seules. Pour celles-là,
l'idéal serait de travailler en maison close auto-gérée, chaque fille
payant sa quote-part ou se faisant salarier par exemple…
Vous êtes fière d'être une Pute ?
Je suis pour le coming out. A la question «et que faites vous dans la
vie ?», nous devrions être capables de répondre fièrement que nous
sommes des putes. Il faut combattre le stigmate, pour en finir avec
toutes les violences putophobes.
Les Putes seraient-elles moins stigmatisées si on légalisait leur activité comme une «profession comme une autre» ?
Pute, c'est plutôt agréable quand les conditions de travail sont bonnes
: on se fait payer pour procurer du plaisir. Il y a pire comme métier.
Mais personne ne peut choisir de devenir Pute ? C'est pas un but dans la vie, quand même !?
On ne l'a peut-être pas choisi au départ, mais vous en connaissez,
vous, des femmes qui ont la vocation de caissière de supermarché ?
Que faites-vous des femmes qui ont été mises de force sur le trottoir ?
La meilleure manière de les aider, c'est de leur garantir les mêmes droits sociaux qu'aux autres travailleurs.
Vous voulez faire passer une loi contre la «putophobie»… On n'aura plus le droit de crier «espèce de pute» ?
La putophobie, c'est le fait de mettre en place des discours et des
mécanismes qui nous assignent à la honte. Considérer les Putes comme
des victimes, trop connes, incapables de savoir ce qui est bon pour
elles, c'est les maintenir dans un statut d'infériorité. Il y a plein
de bonnes âmes qui estiment savoir mieux que nous ce qui nous convient.
C'est de la putophobie ! Et ça encourage les actes de violence à notre
égard, qui dérivent de la même logique : «Après tout, une Pute, c'est
juste une paumée, non ?».
<strong>QUESTIONS A CATHERINE DESCHAMPS</strong><br/>Ethnologue, auteur du livre <em>Le sexe et l'argent du trottoir</em> (Hachette) : <br/>«<em>Le système français est un des plus hypocrites qui soit.</em>»
Pourquoi les putes continuent-elles d'exister dans notre société, soi-disant si libérée ?
Heu... Aucune réponse, à mon avis, n'est suffisante et convaincante.
Est-ce que c'est parce que la prétendue libération sexuelle a raté ?
Est-ce que nos modèles de couple actuels sont plus étouffants qu'il n'y
paraît ? Est-ce que la sexualité est toujours plus sauvage et
indisciplinée qu'on veut bien dire ? Est-ce à cause d'une misère
affective et sexuelle de certains ?...
La prostitution, c'est quoi : la liberté de disposer de son corps ou une mise en esclavage ?
La prostitution est une activité commerciale. Celles et ceux qui en
parlent défendent des idées ou expriment des névroses qui n'ont
souvent rien à voir avec la réalité des travailleuses du sexe.
Il y a des femmes qui s'identifient et, pour paraître «libérées»,
défendent les putes. D'autres, qui associent sexualité et amour (voire
qui sacralisent sexualité et amour), voient dans l'échange d'argent
contre des prestations sexuelles une violence ontologique et deviennent
«abolitionnistes». Pour moi, il faut se méfier autant des deux
positions. La prostitution n'est ni la métaphore de la libération
sexuelle, ni la métaphore de la domination masculine.
Et vous, vous êtes pour ou contre la prostitution ?
Ni pour ni contre. Ma position c'est que le système français est un des
plus hypocrites qui soit. Je suis pour l'abrogation de la LSI.
Pourquoi ? Les lois Sarkozy n'ont-elles pas pour but d'aider les prostituées à s'en sortir ?
On voit difficilement comment des lois qui transforment des personnes
en délinquantes peuvent améliorer la situation de ces mêmes personnes !
Dans une certaine mesure, la LSI a même fait augmenter le proxénétisme
: quand des personnes sont rejetées dans la marginalité, elles peuvent
n'avoir pour seul recours que d'organiser la clandestinité.
Pourquoi la stigmatisation des putes s'accompagne-t-elle d'une augmentation de la violence à leur égard ?
Dans la mesure où «aller aux putes» est de plus en plus discriminé
(depuis les années 1970, on est censé tout trouver dans son propre
couple), ça peut, par réaction, provoquer de la culpabilité et plus
d'agressivité des clients vis-à-vis des putes.
Pourquoi continuent-ils à aller aux putes ?
Avec les prostitué-es, ils n'ont pas forcément à se soucier de donner
du plaisir au partenaire, et puis, même si une pute tombe enceinte, ce
n'est pas leur problème. Certains clients sont malgré tout attachés à
«leur» prostitué-e. Ils voient toujours la ou le même : je ne suis pas
sûre, alors, qu'il n'y ait pas une forme de séduction.
9h30-16h ateliers et programmatique; pour les prostitutéEs et leurs alliéEs
Bourse du Travail - salle Léon Jouault - 67 rue de Turbigo Paris 3ème
17h conférence de presse à l’Assemblée Nationale
salle n°1 - 3 rue Aristide Briant 75007 Paris
Samedi 22 mars 2008 : 3ème marche de fierté - rassemblement à 13h place Pigalle à Paris.