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Blog «Coulisses de Bruxelles»

Pour la Cour de justice européenne, la lutte contre le dumping social ne justifie pas le protectionnisme

Pour le groupe communiste du Parlement européen, l’affaire est entendue : la Cour de justice européenne a rendu aujourd’hui un arrêt légitimant une nouvelle fois le « dumping social » par une « décision scandaleuse » — l’arrêt Rüffert — en refusant d’appliquer une convention collective allemande relative au salaire minimal à une entreprise de construction polonaise. L’ultralibéralisme a encore frappé ! On avait déjà entendu la même critique lorsque la Cour avait rendu son arrêt Laval. Disons-le
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publié le 3 avril 2008 à 21h17
(mis à jour le 16 février 2015 à 16h14)

Pour le groupe communiste du Parlement européen, l’affaire est entendue : la Cour de justice européenne a rendu aujourd’hui un

légitimant une nouvelle fois le

« dumping social »

par une

« décision scandaleuse »

l’arrêt Rüffert

— en refusant d’appliquer une convention collective allemande relative au salaire minimal à une entreprise de construction polonaise. L’ultralibéralisme a encore frappé ! On avait déjà entendu la même critique lorsque la Cour avait rendu son

. Disons-le tout de go : cette interprétation est un pur procès d’intention.

Il va falloir vous accrocher un peu, car l’affaire est complexe. La loi du Land allemand de Basse-Saxe sur la passation des marchés publics prévoit que ces derniers ne peuvent être attribués qu’aux entreprises qui s’engagent par écrit à verser à leurs salariés au minimum la rémunération prévue par la convention collective applicable. L’adjudicataire (celui qui emporte l’appel d’offres) doit également s’engager à exiger de ses sous-traitants le respect de cette obligation. Dans le cas d’espèce, il s’agissait de construire une prison à Göttingen-Rosdorf et les salaires applicables étaient ceux prévus par la convention collective « Bâtiments et travaux publics », supérieurs au salaire minimal prévu par la loi allemande relative au détachement de travailleurs. Or, les ouvriers d’une entreprise polonaise sous-traitante travaillant sur le chantier n’ont reçu que 46,54 % du salaire minimal prévu par la convention collective du Land. L’entreprise adjudicataire a donc été condamnée a payer une pénalité contractuelle de presque 85000 euros.

Pour la Cour sise à Luxembourg la loi du Land de Basse-Saxe viole la directive communautaire relative au détachement des travailleurs de 1996. Celle-ci prévoit bien que l’État membre d’accueil peut imposer un salaire minimal aux entreprises établies dans les autres États membres et exécutant une tâche sur son sol. Mais ce salaire minimal doit être imposé par la loi ou par une convention collective déclarée

« d’application générale »

, c’est-à-dire ayant

« un effet général sur toutes les entreprises similaires appartenant au secteur ou à la profession concerné et relevant du champ d’application territoriale deConstruction [celle-ci] ».

Or, ce n'est pas le cas en l'espèce. Pour la Cour, « l'effet contraignant d'une convention collective telle que celle en cause (…) ne s'étend qu'à une partie du secteur de la construction relevant du champ d'application territorial de celle-ci, dès lors que, d'une part, la législation qui lui procure un tel effet ne s'applique qu'aux seuls marchés publics, à l'exclusion des marchés privés, et que, d'autre part, ladite convention collective n'a pas été déclarée d'application générale ».

Pour la Cour, il est clair qu’on a affaire là une disposition discriminatoire, puisque seuls les travailleurs exécutant une tâche dans le cadre d’un marché public ont droit à un salaire supérieur à l’exclusion de ceux exécutant la même tâche dans le cadre d’un marché privé. Bizarre, non? Comme si on avait voulu protéger les marchés publics. Bref, la Cour semble penser qu’il s’agit là d’une mesure protectionniste visant à empêcher une concurrence entre entreprises (notamment provenant de pays dont les salaires sont plus bas) dans le domaine des marchés publics : le coût salarial est, en effet, éliminé de la compétition.

Cet arrêt se situe donc dans la droite ligne de l'arrêt Laval qui avait considéré qu'une convention collective non déclarée d'application ne pouvait être opposée à une entreprise établie dans un autre État membre, car elle n'avait pas les moyens de connaître toutes les spécificités locales. La Cour de justice semble décidée à imposer, de gré ou de force, la libre prestation de services et donc à lever tous les obstacles à son exercice. Si les États peuvent imposer, comme le prévoit la directive européenne, un socle de droits sociaux minimaux, il n'est pas question d'imposer des obstacles supplémentaires qui reviendraient à annuler l'avantage comparatif des entreprises étrangères. L'admettre serait, pour la Cour, comme accepter un retour des droits de douane sur les marchandises entre États membres.