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Blog «Coulisses de Bruxelles»

OTAN : le gaullisme, nouvel horizon de la gauche ?

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On prête cette phrase à Malraux, au lendemain du départ du général De Gaulle en 1969 : « tout le monde a été, est ou sera gaulliste ». Quarante ans plus tard, force est de reconnaître que le général avait raison. Le débat sur le « retour » de la France au sein de la structure militaire intégrée de l’OTAN le montre à satiété. De Gaulle, tout en restant dans l’Alliance Atlantique, a quitté cette structure en 1966, pour affirmer l’indépendance de la France vis-à-vis des États-Unis (photo: siège d
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publié le 14 avril 2008 à 6h00
(mis à jour le 16 février 2015 à 16h14)

On prête cette phrase à Malraux, au lendemain du départ du général De Gaulle en 1969 : « tout le monde a été, est ou sera gaulliste ». Quarante ans plus tard, force est de reconnaître que le général avait raison. Le débat sur le « retour » de la France au sein de la structure militaire intégrée de

le montre à satiété.

De Gaulle, tout en restant dans l’Alliance Atlantique, a quitté cette structure en 1966, pour affirmer l’indépendance de la France vis-à-vis des États-Unis (photo: siège de l’OTAN à Bruxelles). L’homme de Colombey ne supportait surtout plus d’être traité en simple vassal par Washington. Quarante-deux ans plus tard, Nicolas Sarkozy a annoncé, en novembre 2007, devant le Congrès des États-Unis (photo ci-dessous, Reuters), son souhait de refermer cette parenthèse, le monde ayant profondément changé. Hé bien, le PS n’a pas hésité à déposer une motion de censure contre le gouvernement, mardi 8 avril, non seulement pour refuser l’accroissement de l’engagement français en Afghanistan, mais aussi pour défendre l’héritage gaulliste, un comble ! Manifestement, il s’agit surtout de surfer sur l’antiaméricanisme supposé des Français…

Ainsi, François Hollande, le Premier secrétaire du PS, a <a href="http://www.assemblee-nationale.fr/13/cri/2007-2008/20080136.asp#P61_2316">dénoncé</a> devant l'Assemblée, la <em>« rupture dans le consensus sur l'OTAN établie dans notre pays depuis 1966 »</em>. Pour lui, <em>« revenir dans le commandement intégré de l'OTAN n'est pas un choix qui peut être pris par un seul »,</em> oubliant que le général, fidèle à sa conception du pouvoir, n'a consulté personne lorsqu'il a pris sa décision. D'ailleurs, Hollande le reconnaît dans son discours lorsqu'il se demande <em>« pourquoi mettre fin, aujourd'hui, à un choix stratégique décidé en 1966 par le général de Gaulle » ? « C'est un reniement, un renoncement, un abandon ! </em>», a-t-il plaidé avec passion.

François Fillon, le Premier ministre, s'est fait un plaisir de le tacler sévèrement : <em>« il est toujours piquant d'entendre la gauche se rassembler pour crier haro sur les États-Unis, et encore plus surprenant de la voir faire appel aux mânes du gaullisme »</em>. Et de rappeler qu'il<em> « y a quarante-deux ans, pratiquement jour pour jour, le parti socialiste déposait une motion de censure contre le retrait des forces françaises de l'OTAN »… « En délaissant l'Afghanistan, en négligeant l'Europe, en diabolisant l'Alliance Atlantique, la gauche révèle son repli hexagonal, son pessimisme profond, tout le contraire de la grandeur nationale ».</em>

Ambiance…

Ce « débat », comme souvent en France, est en réalité d’une immense hypocrisie. Tout le monde fait

comme si l’Hexagone était un pays non aligné et que le chef de l’État proposait une révolution copernicienne. Alors, qu’en réalité, comme le rappelle un diplomate français,

« la France n’a jamais réellement quitté l’OTAN : elle est à 95 % dans l’organisation, notamment dans toutes ses instances politiques, et est l’un de ses plus grands contributeurs ». « Il ne s’agit de réintégrer quelque chose que nous n’avons jamais vraiment quitté, mais de reprendre toute notre place »

, poursuit-il. En réalité, le « départ » de la France s’est essentiellement traduit par le départ du siège de l’OTAN pour Bruxelles, par sa non-participation à deux comités, celui « des plans de défense » et celui « des armes nucléaires », deux comités que les diplomates surnomment en ricanant

« Jurassic park »

Enfin, elle s’est privée des postes de commandement au sein du Shape (l’État-major des forces alliées en Europe), même si depuis 2003, les officiers français sont de nouveau insérés en son sein. Pour le reste, l’armée française est toujours restée dans le dispositif allié du temps de la guerre froide. Et elle s’est comportée comme un fidèle allié des États-Unis : crise des missiles en 1983, première guerre d’Irak… Et, depuis l’effondrement de l’Union Soviétique, elle a été de toutes les missions de l’OTAN à l’extérieur du théâtre européen, y compris en Afghanistan. Brutalement, on peut dire que les militaires français sont les harkis de l’OTAN : ils meurent pour elle, mais ne commandent pas…

Cette position inconfortable n’a strictement plus aucun sens, à supposer qu’elle n’en ait jamais eu. Depuis 1989, le monde a changé : il n’est plus question d’affrontement bloc contre bloc, les pays d’Europe centrale et orientale ont intégré l’OTAN et les Américains ont retiré le plus gros de leurs troupes d’Europe. Pourquoi, dès lors, ne pas utiliser l’instrument pour développer, sous son aile, une défense européenne devenue taboue depuis le rejet de la Communauté européenne de défense par la France en 1954 ? Car il faudra longtemps avant que les Européens soient capables de se passer des Américains : on l’a encore vu lorsqu’ils se sont ridiculisés en ayant les plus grandes difficultés à trouver une dizaine d’hélicoptères capables de voler dans le désert tchadien… En 1995, Jacques Chirac a déjà voulu négocier son retour contre un grand commandement, par exemple celui de la zone sud. Pour les Américains, c’était allé trop loin, puisque leur sixième flotte serait passée sous commandement français… L’affaire en resta là, mais le rapprochement se poursuivit dans la discrétion.

Aujourd'hui, Nicolas Sarkozy n'a plus de telles exigences. Il veut d'abord une réforme de l'OTAN : pour 66000 hommes en opération, l'Alliance emploie 22000 personnes, dont 13500 pour la seule structure militaire intégrée… Une lourde bureaucratie militaire que les Français souhaitent réduire. Il faut dire que l'Union n'emploie que 290 personnes, militaires compris, pour gérer les opérations militaires et de police de l'Union (entre 70 et 3700 hommes selon les théâtres d'opérations : 7 opérations extérieures sont en cours). On n'est certes pas au même niveau de complexité, mais il y a manifestement du gras à l'OTAN, dont le budget de fonctionnement atteint 2 milliards d'euros (voir sur ce point la tribune d'Hervé Morin, le ministre de la défense). Le chef de l'État souhaite aussi que les États-Unis laissent les Européens se doter d'une capacité autonome d'action : « il n'y a plus de problème de ce côté », précise un militaire français. « Les Américains ont enfin compris que l'OTAN n'est pas le lieu idéal pour inciter les pays européens à faire plus pour leur défense, car chacun sait qu'au final ce sont les États-Unis qui fourniront les hommes et le matériel qui manquent… » Laissés seuls, les Européens devront donc faire des efforts.

Bref, le combat des socialistes, qui fleure bon son antiaméricanisme, est pour le moins étrange. Surtout

que la «réintégration» n’impliquera aucune contrainte supplémentaire: les décisions au sein de l’Alliance se prennent à l’unanimité et personne ne pourra obliger la France à participer à une opération contre son gré. Les Français, eux, sont partagés face à une décision complexe. Selon un sondage Harris interactive paru le 27 mars (réalisé pour France 24 et le International Herald Tribune), ils sont 38 % à être favorables à ce retour, 34 % à y être opposés et 28 % sans opinion. En revanche, dans les autres pays membres de l’OTAN, l’opinion est largement favorable (surtout en Allemagne et en Italie).

Au-delà de cette affaire, de Gaulle, pour la gauche, semble être devenu la justification commode d'un conservatisme qui ne veut pas dire son nom. On retrouve aussi cette passion étrange pour l'homme de Colombey dans les rangs de l'extrême gauche : le gaullisme, ce sont les temps heureux de la croissance, du plein emploi et de l'économie mixte de marché, loin du « néo-libéralisme » honni des temps modernes. Une reconstruction de l'histoire qui doit bien faire rire « mongénéral », désormais icône d'une gauche en manque de repère idéologique (lire l'excellent article <a href="https://www.liberation.fr/rebonds/chroniques/chronique_politique/320093.FR.php">d'Alain Duhamel</a>).

N.B. : sur l'Otan, vous pouvez aussi lire l'analyse de Nicole Bacharan paru dans Le Figaro du 11 avril.