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«Eros+Massacre» : sexistentialisme

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Il y a des films qu’il faudrait voir en état second, dans une sorte de rêve : c’est le cas d’Eros+Massacre. Chef d’œuvre du cinéma japonais, ce film-kaléidoscopique est une sorte de féérique exercice de style sur le thème de la libération sexuelle. Eros+Massacre a été réalisé par Kiju Yoshida, un des plus grands réalisateurs de cette “nouvelle vague” japonaise qui —au départ— n’était qu’une sorte de concept-marketing lancé par les studios Shochiku… Il s’agissait à l’époque de promouvoir des je
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publié le 16 mai 2008 à 15h38
(mis à jour le 21 janvier 2015 à 16h14)

Il y a des films qu'il faudrait voir en état second, dans une sorte de rêve : c'est le cas d'Eros+Massacre. Chef d'œuvre du cinéma japonais, ce film-kaléidoscopique est une sorte de féérique exercice de style sur le thème de la libération sexuelle.

Eros+Massacre a été réalisé par Kiju Yoshida, un des plus grands réalisateurs de cette "nouvelle vague" japonaise qui —au départ— n'était qu'une sorte de concept-marketing lancé par les studios Shochiku… Il s'agissait à l'époque de promouvoir des jeunes réalisateurs, parmi lesquels Nagisa Oshima et Kiju Yoshida. Oshima devint célèbre avec son film l'Empire des sens. Kiju Yoshida fit la révolution avec Eros+Massacre. Pour tous les deux (ils étaient très proches), il s'agissait d'en finir avec ces mélos sirupeux de l'époque, montrant éternellement la femme comme une poupée fragile ou stupide, destinée à finir mémère au foyer… Kiju Yoshida décide de la montrer non plus comme un objet de désir, une icône de plus à rajouter sur une jolie affiche de cinéma, mais comme le miroir de nos propres désirs, de nos attentes, de nos espérances. Qu'attendons-nous de la vie ?

L’histoire pourrait se résumer ainsi : «Alors qu’elle fait l’amour avec un réalisateur de spots publicitaires, une étudiante de 20 ans, Eiko, prend conscience de son inévitable froideur. Peu de temps auparavant, elle a rencontré un séduisant pyromane, qui reste malheureusement sourd à ses avances. Afin de mieux comprendre qui elle est, Eiko s’intéresse alors à un anarchiste qui, en 1910-1920, fut le chantre et le premier adepte de l’amour libre.»

En clair : Eiko a peur d'être frigide. Quand elle se laisse caresser, son long corps blanc reste de marbre… Mais qu'elle prenne une douche et tout de suite, en hallucination, des mains viennent se poser sur elle, une forêt de mains qui la touchent à travers la vitre transparente contre laquelle glisse l'eau… Il faudrait voir ce film comme on lirait Le salon des horreurs (The Atrocity exhibition) de Ballard : une succession de plans-séquences semblables à des constructions mentales niant toutes les règles spatio-temporelles. Dans Eros+Massacre, on oscille perpétuellement entre le rêve, le destin parallèle de deux autres amoureux, et les tentatives désespérées de Eiko pour éprouver enfin son premier orgasme. Elle se donne à des inconnus. Elle est poursuivi par un policier qui veut la faire arrêter pour prostitution. Elle poursuit un garçon qui préfère jouer avec des allumettes que faire l'amour… Elle dit «Je est un autre. Je n'existe pas». Et son corps, filmé à la façon d'un puzzle, s'inscrit dans des perspectives à la beauté plastique inouie.

Chaque image d'Eros+Massacre ressemble à un instantané. Kiju Yoshida filme chaque personnage à l'intérieur de cadres–miroirs, encadrement de porte, panneau coulissant, architectures saisissantes —qui symbolisent le labyrinthe intérieur et nous renvoient à nos propres limites. Prenant à partie le spectateur, Kiju Yoshida encourage même son actrice à REGARDER LA CAMERA. Ainsi, Eiko nous regarde. Parfois même c'est son reflet qui nous fixe d'un oeil détaché. Sommes-nous, comme elle, à la recherche du plaisir ? Sommes-nous, comme nos parents ont pu l'être (et les parents de nos parents, et ceux d'avant… etc), confronté toujours à des interdits ? Et que faire pour se libérer ?

Réponse : samedi 17 mai au centre Pompidou.

Eros+Massacre : samedi 17 mai à 20h30 / Cinéma 1 / Séance gratuite dans le cadre de la Nuit des Musées
Centre Pompidou : Place Georges Pompidou, 75004 Paris.
Presque intégralement éditée en DVD par Carlotta films, l’œuvre de Kijû Yoshida est disponible en 3 coffrets. Le coffret Eros+Massacre contient la version courte du film (2 heures) et la version longue (3 heures), accompagnées d’un formidable document (Yoshida ou l’éclatement du récit).
Pour visionner la bande-annonce (vous pouvez la voir en plein écran), c’est ici.
Coffret Eros+Massacre (2 DVD) : 25 euros.