Il dresse des préservatifs de la taille d’un homme, comme des troncs d’arbre d’un genre nouveau: Stephen Marsden nous fait marcher dans une forêt de rêve.
Un jour, Stephen Marsden – artiste anglais vivant en France - a acheté des capotes fantaisie, ornées de picots et de petites tentacules rigolotes. Quelques années plus tard, sortant les capotes de leur emballage, il les a déroulées et enfilées sur un support rigide. Après moulage, agrandissement, retouches, voilà onze sculptures au garde-à-vous ornées en leur éminence de décorations. Au choix: cactus, museau de souris, diadème, bulles, pis de vache. Il y a même un petit château en Espagne, avec son escalier en colimaçon… Parce qu'un pénis mérite qu'on joue avec, Stephen Marsden multiplie les clins d'oeil à ce qu'il appelle les "boys toys", les jouets pour garçons, qui sont tous des clins d'oeil au plus amusant d'entre eux. Si vous voyez ce que je veux dire.
Stephen Marsden sculpte aussi des objets transitionnels, des doudous pour adultes aux formes rassurantes: toujours levés en l’air, suivant une sorte de tropisme qui nous porte à aimer les choses grandes et qui montent. Ca tombe bien (sic), ces sculptures drôlatiques sont exposées avec plein d’autres métaphores phalliques dans une église – haut lieu d’élévation - qui servit pendant plus d’un siècle d’entrepôt pour outils agricoles. Après la Révolution, l’église de la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon fut utilisée par les paysans pour le stockage des récoltes et des cognées. Le hasard faisant bien les choses, du 14 juin au 28 septembre, cette même église accueille une exposition dédiée à Priape et aux cognées.
Rien à voir avec des femmes battues: la cognée est un outil de la famille des haches. Elle sert à fendre les bûches et s'utilise à deux mains, ce qui en fait une métaphore phallique toute désignée, chargée de double-sens: à la fois outil viril (dans le langage bûcheron, "une cognée bien emmanchée") et instrument castrateur (qui sert à couper les arbres), la cognée symbolise parfaitement cette vie à rallonge du pénis qui se dresse, tombe, ressuscite, retombe, se redresse, dans un mouvement (qu'on espère) sans fin. Flirtant avec les images de mandrin, de braguettes, de baguettes et de gros manches, l'exposition célèbre joyeusement cette invincible vitalité sexuelle. Elle s'intitule «A Thélème, Priape s'est cogné…» et fait d'ailleurs partie d'une énorme opération "La dégelée Rabelais" qui couvre toute la région Languedoc-Roussillon.
Suivant l'exemple du médecin François Rabelais, qui écrivait des livres drôlatiques et défoulatoires pour soigner ses malades, la manifestation se veut paillarde. Cet été, de Carcassonne au Pont du Gard, en passant par Montpellier, vous pourrez banqueter sur le thème "tout pour le mange-tripes !", faire «une gorge profonde" (celle de Gargantua) et goûter aux vertus d'"un bon pêt"… L'exposition à laquelle participe Stephen Marsden donne le ton. Elle s'inspire d'un passage du Quart Livre dans lequel le dieu Priape explique à ses "collègues de l'Olympe" que certains mots sont ambigus. Le mot "cognée" par exemple. Il raconte alors l'histoire de ce pauvre bûcheron nommé Couillatrix, qui réclame à grands cris sa cognée perdue. "Rendez-moi ma cognée! Je veux ma cognée!" se lamente Couillatrix. Priape pose la question : parle-t-il de son outil "ou de quelque autre instrument accordé par la nature à ses fils besogneux ?".
Cette question peut sembler anodine. Elle est pourtant essentielle: dans votre vie, qu’est-ce qui vient en priorité? Le sexe ou le travail? Suivant quels critères avez-vous choisi votre partenaire? S’agissait-il pour vous d’avoir un conjoint “sérieux” (professionnellement, etc.) ou un conjoint avec qui vous partagez tous vos fantasmes? C’est la question que pose Rabelais. Quelle cognée est la plus importante pour vous? Celle qui vous permet d’abattre des arbres ou celle qui vous permet de faire l’amour souvent?
Stephen Marsden, qui vit dans la région de Rabelais depuis si longtemps, n’hésite pas une seconde entre les deux cognées. Il choisit celle qui fait vivre très vieux. Il a d’ailleurs l’air d’un adolescent lumineux, au milieu de tous ses jouets qui le dépassent parfois en taille et pointent vers le ciel des tétons et des pis turgescents.
6 juin – 28 septembre 2008
De 9h30 à 18h (dernier billet vendu à 17h30)
58, rue République – 30400 Villeneuve-lez-Avignon. Tél.: 04 90 15 24 24