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Libération
Blog «Coulisses de Bruxelles»

Le « yaka » de la Constituante européenne

Il y a un amour français pour les idées simples, celles qui percutent. Il n’y a plus d’argent dans les caisses ? « Yaka taxer les riches » ! Il y a trop de chômeurs ? « Yaka virer les immigrés » ! Il y les yaka de gauche, il y a les yaka de droite. Il y a désormais le « yaka noniste » que j’entends depuis quelques années : des peuples, consultés par référendum, votent non à un traité européen ? « Yaka réunir une constituante pour rédiger un texte simple, clair, populaire qui sera ratifié par un
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publié le 23 juin 2008 à 7h00
(mis à jour le 16 février 2015 à 16h13)

Il y a un amour français pour les idées simples, celles qui percutent. Il n’y a plus d’argent dans les caisses

? « Yaka taxer les riches » ! Il y a trop de chômeurs ? « Yaka virer les immigrés » ! Il y les yaka de gauche, il y a les yaka de droite. Il y a désormais le « yaka noniste » que j’entends depuis quelques années : des peuples, consultés par référendum, votent non à un traité européen ? « Yaka réunir une constituante pour rédiger un texte simple, clair, populaire qui sera ratifié par un référendum dans un grand élan populaire ». Simple, net, efficace. On se demande d’ailleurs les États n’ont pas commencé par là et pourquoi personne n’en a eu l’idée avant.

Le débat, qui a ressurgi avec plus de virulence à l'occasion du «non» irlandais, a commencé sur différents fils de ce blog avec des contributions de grande qualité (merci à Wonbat, Maragojipe, Xavier Delcourt). J'en profite pour faire un point sur cette idée simple qui n'a aucune chance d'être mise en œuvre avant 2100 et encore. Pourquoi ? Parce que l'Union européenne n'est pas un État, mais une association d'États souverains qui ont décidé d'exercer en commun certaines compétences selon des modalités extrêmement précises. Autrement dit, au sein de l'UE, le pouvoir constituant appartient aux seuls États et non à une assemblée extérieure à eux. Il faudrait donc au préalable que les États renoncent à leur pouvoir constituant selon leurs règles internes et qu'ils acceptent de le déléguer à une assemblée élue. En l'occurrence, cela passe par une modification des 27 Constitutions nationales et, dans un certain nombre de cas, implique de procéder à des référendums, le tout après que les Cours constitutionnels se sont prononcées sur la légalité d'une telle délégation de pouvoir (et ça n'est pas gagné. Et merci à loulou qui comprendra). Qu'un pays comme la Grande-Bretagne n'ait pas de Constitution écrite constitue aussi un écueil sérieux. Mais passons.

Imaginons un instant qu’un État, un Parlement ou un peuple (en cas de référendum) refuse. Dans ce cas-là, les 27 sont bloqués. À moins que l’on ne décide de poursuivre à quelques-uns, ce qui est possible. Mais, j’attire l’attention sur ce point, on ne peut à la fois se scandaliser de la volonté des États ayant ratifié Lisbonne de poursuivre éventuellement sans l’Irlande tout en trouvant normal d’instaurer une Constituante qui laisserait à l’écart ceux qui en ont refusé le principe : car au final, il faudrait laisser sur le bord de la route les récalcitrants pour que l’exercice ait un sens.

Je doute qu’un seul État, à l’heure actuelle, soit prêt à renoncer à son pouvoir constituant : Berlin, Paris et Londres s’y opposent formellement, par exemple. Notons aussi qu’aucun parti de gouvernement en Europe ne le propose, ce qui est quand même un bel obstacle. Pourquoi ? Parce que personne ne veut que l’Union se transforme en un État fédéral. Ensuite, il est douteux qu’un pays accepte de se faire ainsi hara-kiri, puisqu’il perdra tout contrôle sur le processus constituant : il risque de se retrouver avec un texte dont il ne veut pas. Enfin, en imaginant même que les gouvernements l’acceptent, de nombreux Parlements et surtout de nombreux peuples risquent de le refuser : demandez, pour voir, aux Irlandais s’ils sont prêts à renoncer à leur droit de veto sur les traités…

Mais, imaginons que, dans un bel ensemble, tous les États acceptent de confier leur pourvoir constituant à une assemblée élue. Comment serait-elle constituée ? Actuellement, dans les Conférences intergouvernementales (CIG) qui négocient les traités, chaque État dispose d’une voix et d’un droit de veto. Là, on peut imaginer que l’Assemblée devrait décider à la majorité (50+1, 2/3 , ¾, 4/5 ?) et que chaque pays pèsera d’un poids différent, sur le modèle du Parlement européen. Mais Malte, qui, dans une CIG, a le même poids que l’Allemagne, n’acceptera sans doute pas de ne disposer que de 5 représentants contre 99… Il faudra donc se mettre d’accord, par une CIG préalable, sur la composition de la Constituante et sur son mode de décision…

Ensuite, il faudra l’élire. Le résultat risque d’être intéressant si on estime qu’elle sera sans doute une réplique de l’actuel Parlement européen. On aura donc une constituante massivement de droite avec une représentation française éclatée (dans huit groupes comme aujourd’hui), ce qui réduira quasiment à néant l’influence de la France (on imagine donc pourquoi l’Hexagone sera extrêmement réticent à une telle formule).

Le texte adopté par cette enceinte sera-t-il pour autant « simple », comme le souhaite une partie des « nonistes » français ? Absolument pas. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’encore une fois il ne s’agira que d’exercer en commun certaines compétences et non toutes les compétences étatiques. Or, il est hors de question qu’on ne précise pas comment ces compétences devront être exercées. Par exemple, la France veut d’une Politique agricole commune (PAC). Si la Constitution ne précise pas que celle-ci est obligatoire et qu’elle doit tendre à tel but selon telle modalité, le risque est grand qu’une majorité de circonstances la supprime purement et simplement. Autrement dit, un État qui délègue sa souveraineté à certaines conditions très précises n’a aucune envie que cette délégation se retourne contre ses intérêts, si la majorité politique change. Ce qui est vrai de la PAC, l’est de l’ensemble des   politiques européennes. Rêver d’un texte simple relève tout simplement de la méconnaissance de ce que sont prêts à accepter les États.

Ce texte, forcément complexe, donc devra ensuite être ratifié par les différents États. Référendum européen ou procédures nationales ? Qu’advient-il du pays qui vote non ? Il devra logiquement sortir à condition que dès le départ, on ait prévu à l’unanimité la fin de l’Union européenne actuelle et la sanction d’un vote négatif. Là aussi, j’ai comme un doute qu’un pays accepte ainsi le fait que le fait d’être mis en minorité le pousse vers la sortie. Surtout, j’imagine la campagne fairplay du « non » de gauche français, par exemple, d’un texte élaboré par une Constituante de droite.

Comme on le voit, un tel processus prendra longtemps, très longtemps. IlSpinelli n’est pas impossible, mais il suppose, au départ, qu’il y ait une demande politique qui n’existe absolument pas aujourd’hui. Bref, ceux qui expliquent que le rejet de Lisbonne permettra d’aboutir à une Constituante par l’opération du Saint-Esprit se trompent lourdement. Le rejet de Lisbonne aboutira simplement à moins d’Europe : au lendemain du double non franco-néerlandais, un seul gouvernement a-t-il proposé cette solution ? Quant à ceux qui proposent que le Parlement européen élu en juin 2009 se transforme en constituante en rêvant d’un nouveau serment du jeu de paume, je rappellerais que le Parlement européen a déjà adopté un projet de constitution fédérale, en 1984 : le projet Spinelli. Il dort depuis dans un tiroir.