Menu
Libération
Blog «Coulisses de Bruxelles»

L'euro, un bouclier discret, trop discret

Le tsunami financier parti des États-Unis en août 2007 n’en finit pas d’ébranler le monde avec une violence inouïe. L’Europe est particulièrement exposée, l’interpénétration des deux principales économies mondiales étant forte. Mais il faut imaginer ce qui se passerait si le bouclier de l’euro n’existait pas. Les responsables européens le savent, et ils s’en félicitent en privé – on se demande bien pourquoi ? —, même si les citoyens n’en ont pas forcément conscience. Car, sans monnaie unique, d
DR
publié le 27 septembre 2008 à 18h26
(mis à jour le 16 février 2015 à 16h13)

Le tsunami financier parti des États-Unis en août 2007 n’en finit pas d’ébranler le monde avec une

violence inouïe. L’Europe est particulièrement exposée, l’interpénétration des deux principales économies mondiales étant forte. Mais il faut imaginer ce qui se passerait si le bouclier de l’euro n’existait pas. Les responsables européens le savent, et ils s’en félicitent en privé – on se demande bien pourquoi ? —, même si les citoyens n’en ont pas forcément conscience. Car, sans monnaie unique, des mouvements violents auraient eu lieu sur le marché des changes européen, les investisseurs quittant brutalement les monnaies jugées faibles (franc, lire, peseta, escudo, drachme, etc.) pour se réfugier sur des valeurs refuges comme le deutsche mark ou le florin néerlandais. Il suffit, par exemple, de se souvenir des effets de la crise asiatique de 1997, deux ans avant le passage à l’euro.

Or ces mouvements monétaires ont un prix élevé : pour protéger la valeur de sa monnaie, chaque banque centrale ne peut que hausser les taux d’intérêt afin de retenir les investisseurs. Ce tour de vis brutal se paye immédiatement par un ralentissement économique et donc une augmentation du chômage. L’Europe l’a expérimenté lors des grandes crises monétaires des années 92-93 qui l’ont plongé dans la récession. Selon Michel Sapin, alors ministre socialiste des finances, cette crise a sans doute coûté à la France près d’un million de chômeurs supplémentaire (voir « Ces hommes qui ont fait l’euro », livre que j’ai écrit avec Thomas Klau, paru chez Plon en 1999, et dont je prépare une seconde édition).

Cette fois-ci, rien de tel. Les mouvements de change entre la zone dollar et la zone euro n’obéissent plus à des mouvements de panique : les investisseurs s’intéressent davantage aux fondamentaux économiques

et, pour l’instant, ils sont préoccupés des signes de fragilité que donne l’économie américaine, signes jugés plus inquiétants qu’en Europe. Donc, l’euro reste fort, aux alentours de 1,45/1,46 dollar, loin du record de 1,60 dollar atteint en avril dernier.

Cette question du taux de change reste, néanmoins, un sujet central du débat politique en Europe : l'euro est soit trop faible (en 1999-2001), soit trop fort (depuis), mais rarement à son bon niveau. Au tout début de l'euro, en 1999, Wim Duisenberg, le premier Président de la Banque centrale européenne (BCE), avait lancé à un journaliste qui s'inquiétait du recul de la monnaie unique face au billet vert : « si vous demandez à un Américain : que vaut le dollar ? Il vous répondra : le dollar ? Un dollar est un dollar. Et je crois que nous devons apprendre en Europe à dire nous aussi : un euro ? Un euro est un euro ». Cette remarque était parfaitement juste : pas un citoyen américain ne savait alors ce que valait sa monnaie en franc, en mark ou même en yen.

Or, presque dix ans après le lancement de l’euro, les choses ont changé aux États-Unis : lors du voyage que j’ai effectué dans l’Ouest américain cet été, j’ai été frappé de constater que toutes les personnes que j’ai rencontrées me parlaient de l’euro et de sa valeur. Plusieurs d’entre elles me donnaient même le taux de change exact, et non pas dans le sens dollar/euro, mais euro/dollar, exactement comme chez nous ! Dans les journaux locaux, en Euro_3 Arizona, au Nevada, en Utah, des articles étaient aussi consacrés à la valeur du dollar par rapport à l’euro, sa chute étant manifestement vécue comme un symbole de l’affaiblissement de la puissance américaine.

Cette identification de l’euro à l’Europe montre aussi que la monnaie unique est perçue, par le monde extérieur, comme un élément de l’identité et de la puissance naissante de l’Union. Mais cela n’est pas vrai au sein de l’Europe : l’euro n’a pas créé un sentiment de fierté et d’appartenance, faute, sans doute, pour les politiques de s’en être emparé pour vanter les succès de l’Europe. Cela a même souvent été le contraire, l’euro étant utilisé comme un commode bouc émissaire expliquant les difficultés nationales.

Et, sur une juste remarque d’Arthurh et les conseils amicaux d’Hims Lapin, voici une vidéo de Jay-Z, rappeur US, qui brandit des liasses de 500 euros comme élément de richesse...