Face à la crise bancaire et économique, l’Allemagne et la France ne sont manifestement pas sur la même longueur d’onde. Depuis que l’onde de choc a atteint l’Union européenne, Berlin freine des quatre fers face à l’activisme déployé par Paris : après avoir refusé un plan d’action commun, lors du sommet des
quatre pays européens du G8, le 5 octobre à Paris, elle ne s’y est ralliée que contrainte et forcée, surprise par l’ampleur du tsunami financier, une semaine plus tard, le 12 octobre lors du sommet des chefs d’État et de gouvernement de la zone euro, toujours dans la capitale française. Depuis, elle campe sur son refus d’un plan de relance économique européen afin de faire face à la récession, préférant le chacun-pour-soi. Les 15 et 16 octobre, lors du conseil européen des chefs d’État et de gouvernement, elle a ainsi bloqué l’adoption
« d’un paquet pour l’économie réelle, pour éviter une hausse du chômage »
comme le proposaient la France ou l’Autriche. «
Si on a pu apporter une réponse coordonnée à la crise financière en Europe, ne faudrait-il pas apporter une réponse coordonnée à la crise économique en Europe ? »
, s’est alors interrogé Nicolas Sarkozy.
Même refus allemand d'un « gouvernement économique » de la zone euro que souhaite instaurer la France. Le 22 octobre, à Strasbourg, le chef de l'État français expliquait que « le vrai gouvernement économique de l'Eurogroupe, c'est un Eurogroupe qui se réunit au niveau des chefs d'État et de gouvernement ». « À partir de quand l'Europe a-t-elle pu apporter une réponse coordonnée à cette crise financière sans précédent ? Quand nous avons (…) réuni l'ensemble des chefs d'État et de gouvernement de l'Eurogroupe. Cela a été un tournant dans la crise ». Berlin a immédiatement fait savoir qu'il n'était pas question d'institutionnaliser cette instance : l'Eurogroupe, ce sont les ministres des finances de la zone euro réunis sous l'autorité de Jean-Claude Juncker, le premier ministre et grand argentier du Luxembourg, point.
L’agacement est perceptible à Paris : désormais, on joue franchement la carte britannique, Gordon Brown, le premier ministre, semblant, lui, davantage réceptif à une nécessaire coordination communautaire pour sauver ce qui peut l’être. Bref, par son ampleur, la crise actuelle a rebattu les cartes européennes.
La méfiance allemande est difficilement compréhensible face à la gravité de la situation économique que Berlin semble sous-estimer depuis le départ. Tout se passe comme si la chancelière allemande, Angela Merkel, désormais en campagne électorale, était totalement paralysée et engoncée dans de vieux schémas. Pour Berlin, Paris veut manifestement profiter des circonstances pour imposer un « gouvernement économique » qu’elle continue à percevoir comme une menace pour l’indépendance de la Banque centrale européenne (BCE). Pourtant, celle-ci a accepté de coopérer pleinement avec les autorités politiques, montrant ainsi qu’indépendance ne veut pas dire absence de dialogue. De même, elle craint de devoir payer pour les autres, en particulier pour la France. Alors qu’elle a non sans mal rétabli l’équilibre de ses finances publiques, l’Hexagone, fidèle à sa réputation de cigale, a laissé filer ses déficits et sa dette — qui va atteindre des sommets inédits (70 % du PIB en 2010). Or, là aussi, il s’agit d’un mauvais procès, coordination des politiques économiques ne voulant pas dire budget commun.
Jean-Claude Juncker, qui joue souvent les go-between entre Paris et Berlin, a apporté son soutien à l'Allemagne à l'issue de l'Eurogroupe qui s'est réuni lundi soir à Bruxelles : « il serait peu utile d'institutionnaliser un Eurogroupe au niveau des chefs d'État et de gouvernement ». De même, « je ne suis pas en faveur de ce que les Français appellent un plan de relance sur un front généralisé ou un Konjunkturprogramm comme disent les Allemands ».
Contacté, le premier ministre luxembourgeois a estimé qu’il ne fallait pas
« monter en épingle »
un
soi-disant désaccord franco-allemand :
« il ne faut pas employer des mots qui n’ont pas le même sens des deux côtés du Rhin comme c’est le cas du “gouvernement économique” qui est un terme que les Allemands n’aiment pas
«. Pour lui, Allemands et Français sont en réalité sur la même longueur d’onde :
“un sommet de l’Eurogroupe de temps à autre lorsque les circonstances l’exigent, personne n’est contre”
. Sur l’idée d’un plan de relance, il s’agit, selon le chef du gouvernement luxembourgeois, d’éviter
“un plan de relance générale de type keynésien style années 70. On en a fait, ils n’ont servi à rien si ce n’est à creuser le déficit et la dette”
. Pour lui,
“il faut des mesures ciblées en faveur des couches les plus vulnérables de la population et de certains secteurs économiques, comme l’automobile. Les Allemands vont ainsi annoncer aujourd’hui qu’ils suppriment pour deux ans les taxes sur les automobiles neuves. Il faut que chacun utilise les marges budgétaires qui existent en coordination avec les autres”. “J’ai parlé avec Nicolas Sarkozy et on est parfaitement d’accord sur ces deux points”
, affirme Juncker. La mésentente entre Paris et Berlin ne serait donc qu’une affaire de vocabulaire ?
NB: il faut lire le dernier billet de Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, publié sur son blog: »pour une stratégie économique commune«.
Photos: Thierry Monasse