Menu
Libération
Blog «Coulisses de Bruxelles»

Pour la Cour de justice européenne, le nom relève aussi du droit communautaire

Les juristes souverainistes vont une nouvelle fois s’étrangler d’indignation. Les juges de Luxembourg, dans un arrêt du 14 octobre, ont, en effet, décidé d’écarter la règle de conflit de lois allemande applicable au statut personnel (le nom patronymique est régi par la loi de la nationalité, en l’occurrence) au motif qu’elle entrave le droit à la libre à la libre circulation d’un ressortissant européen, un principe fondamental du droit communautaire. Précisément, ils estiment qu’un ressortissan
DR
publié le 10 novembre 2008 à 19h18
(mis à jour le 16 février 2015 à 16h13)

Les juges de Luxembourg,

dans

, ont, en effet, décidé d’écarter la règle de conflit de lois allemande applicable au statut personnel (le nom patronymique est régi par la loi de la nationalité, en l’occurrence) au motif qu’elle entrave le droit à la libre à la libre circulation d’un ressortissant européen, un principe fondamental du droit communautaire. Précisément, ils estiment qu’un ressortissant allemand portant légalement le nom de ses deux parents allemands en vertu de la loi danoise, pays où il est né et où il possède sa résidence habituelle, peut le conserver alors même que le droit allemand, qui impose la transmission du seul nom du père, dispose qu’il est seul applicable à ses nationaux. Il s’agit d’un arrêt de principe, celui-ci ayant été rendu en «grande chambre».

Le « droit international privé » (DIP) est ainsi de plus en plus contourné par le droit européen qui possède décidément des vertus étonnantes.

Résumons les faits: Leonard Matthias Grunkin-Paul né au Danemark le 27 juin 1998. Il est le fils de Mme Paul et de M. Grunkin, tous deux de nationalité allemande et alors mariés. Cet enfant est donc lui aussi de nationalité allemande – il n'a pas la nationalité danoise, le droit du sol étant très limité dans ce pays — et vit depuis cette date au Danemark tout en effectuant de fréquents allers-retours entre les deux États. Son nom patronymique, composé de celui de son père et de sa mère, a été inscrit sur son acte de naissance danois. La loi danoise, qui prévoit une telle possibilité, dispose en effet que le statut personnel est régi par la loi du pays de résidence, en l'occurrence le Danemark, et non par la loi nationale. En 2006, les parents de l'enfant demandent l'inscription de son nom Grunkin-Paul dans le livret de famille tenu à Niebüll, en Allemagne. Les autorités allemandes refusent l'inscription au motif que le nom patronymique des citoyens allemands est régi par le droit allemand (principe de la loi nationale) et que celui-ci ne permet pas à un enfant de porter un nom double. Les parents introduisent alors un recours contre cette décision de l'administration allemande devant l'Amtsgericht Flensburg (tribunal d'instance) qui demande à la Cour de justice si <em>« le droit communautaire interdit à une réglementation nationale de contraindre un citoyen de l'Union européenne de porter un nom patronymique différent selon les États membres »</em>.

L’affaire est tellement explosive que pas moins de huit États membres – dont la France – sont intervenus à l’audience pour défendre leur « droit international privé », c’est-à-dire les règles nationales de conflit de lois qui permettent de déterminer quelle est la loi applicable lorsqu’une situation juridique présente des points de rattachement avec plusieurs pays. En matière de nom patronymique, beaucoup d’États considèrent que le statut personnel est régi par la loi nationale, mais d’autres retiennent la loi du pays de résidence habituelle.

, une juriste britannique, le droit international privé, qui n’a d’international que le nom, est

« ensemble complexe de mécanismes complexes, qui interagissent dans la complexité, mais pas toujours de manière harmonieuse ».

Le tout pour le plus grand délice des juristes et le plus grand désespoir des citoyens victimes de ces subtilités incompréhensibles.

Le problème est que cette diversité nationale des règles de DIP peut engendrer des situations ubuesques comme dans le cas de Leonard Matthias Grünkin-Paul, dont le nom sera différent d'un côté et de l'autre de la frontière germano-danoise. Mais intervenir dans ces règles nationales n'est pas simple, comme le reconnaît l'avocate générale : « toute modification d'un de ces mécanismes peut affecter un grand nombre d'interactions. Une modification des règles d'un système de droit international privé dans le domaine de la détermination des noms pourrait avoir des répercussions non seulement sur la manière dont ces règles interagissent avec les règles correspondantes d'un autre système, mais aussi sur le fonctionnement de ses propres règles de droit international privé dans les domaines connexes du statut des personnes ou du droit de la famille (avec les modifications qui s'ensuivent dans les interactions entre ces règles et celles d'autres systèmes) ou sur ses règles de fond pertinentes ».

Reste que, déjà

, a jugé que, si

« en l’état actuel du droit080409_hdfrontiere2_2 communautaire, les règles régissant le nom d’une personne relèvent de la compétence des États membres, ces derniers doivent néanmoins, dans l’exercice de cette compétence, respecter le droit communautaire […] et, en particulier, les dispositions du traité relatives à la liberté reconnue à tout citoyen de l’Union de circuler et de séjourner sur le territoire des États membres »

. Autrement dit, la Cour refuse de se prononcer sur la pertinence des règles nationales de DIP, faute d’harmonisation législative en ce domaine, mais estime qu’il lui revient d’apprécier les effets de

« la non-reconnaissance d’un nom au regard des normes du droit communautaire »

, comme le résume l’avocate générale. En clair,

le DIP ne fait-il pas obstacle à l’exercice du droit à la libre circulation ? La Cour de justice répond par l’affirmative.

Pour elle, laisser jouer la règle de conflit de lois allemande équivaudrait à rendre la vie de Leonard Matthias infernale. Elle n’hésite pas à entrer dans les détails :

« la diversité de noms de famille est de nature à engendrer pour les intéressés de sérieux inconvénients d’ordre tant professionnel que privé résultant, notamment, des difficultés à bénéficier, dans l’État membre dont ces enfants sont les ressortissants, des effets juridiques d’actes ou de documents établis sous le nom reconnu dans un autre État membre ». Ainsi, « de nombreuses actions de la vie quotidienne, dans le domaine tant public que privé, exigent la preuve de l’identité, preuve qui est normalement fournie par le passeport. L’enfant Leonard Matthias ne possédant que la nationalité allemande, l’établissement dudit document relève de la seule compétence des autorités allemandes. Or, dans l’hypothèse d’un refus de reconnaissance, par ces dernières, du nom patronymique tel qu’il a été déterminé et enregistré au Danemark, cet enfant se verra délivrer par lesdites autorités un passeport dans lequel figurera un nom différent de celui qu’il a reçu dans ce dernier État membre. Par conséquent, chaque fois que l’intéressé devra prouver son identité au Danemark, État membre où il est né et réside depuis lors, il risque de devoir dissiper des doutes concernant celle-ci et écarter des soupçons de fausse déclaration suscités par la divergence entre, d’une part, le nom qu’il utilise depuis toujours dans la vie quotidienne et qui se trouve tant dans les registres des autorités danoises que dans tous les documents officiels établis à son égard au Danemark, tel que, notamment, l’acte de naissance, et, d’autre part, le nom figurant dans son passeport allemand. En outre, le nombre des documents, notamment des attestations, certificats et Frontiereschengenfrance diplômes faisant apparaître une divergence en ce qui concerne le nom patronymique de l’intéressé risque de s’accroître au fil des ans dans la mesure où l’enfant est en étroite relation tant avec le Danemark qu’avec l’Allemagne. En effet, il ressort du dossier que cet enfant, tout en vivant principalement auprès de sa mère au Danemark, séjourne régulièrement en Allemagne pour rendre visite à son père qui s’y est installé après le divorce des conjoints »

.

Pour les juges, « chaque fois que le nom utilisé dans une situation concrète ne correspond pas à celui figurant dans le document présenté à titre de preuve de l'identité d'une personne, notamment en vue soit d'obtenir le bénéfice d'une prestation ou d'un droit quelconque, soit d'établir la réussite à des épreuves ou l'acquisition de capacités, ou que le nom figurant dans deux documents présentés conjointement n'est pas le même, une telle divergence patronymique est susceptible de faire naître des doutes quant à l'identité de cette personne ainsi qu'à l'authenticité des documents présentés ou à la véracité des données contenues dans ceux-ci ».

<strong>Bref,<em> « dans ces conditions, et étant donné que les dispositions allemandes restrictives n'ont pas été dûment justifiées, la Cour conclut que le droit des citoyens européens de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres s'oppose à ce que les autorités allemandes refusent de reconnaître le nom patronymique de Leonhard Matthias tel qu'il a été déterminé et enregistré au Danemark »</em></strong>.

Pour l'avocate générale, il ne s'agit pas d'une remise en cause de la règle de conflit de lois allemande qui donne compétence à la loi nationale en matière de statut personnel : « aucune modification importante des règles de fond et des règles de conflit allemandes en matière de noms » n'est requise. L'arrêt exige seulement que l'Allemagne « admette plus libéralement la reconnaissance du choix antérieur d'un nom effectué conformément aux lois d'un autre État membre. Dans cette mesure, il ne s'agirait de rien d'autre que d'appliquer le principe de la reconnaissance mutuelle qui est à la base d'une bonne partie des règles communautaires, non seulement dans le domaine économique, mais aussi en matière civile ». Certes. Mais, mine de rien, la Cour presse les Etats d'harmoniser leurs règles de DIP voire à adopter des règles de droit matériel (par exemple en harmonisant la transmission du nom patronymique) afin de faciliter la vie de leurs citoyens. On ne peut pas proner la libre circulation des citoyens tout en leur rendant la vie impossible.

(photo: «Schengen», emprunté au blog de Doris)