C’est l’histoire d’un homme qui ne voulait pas être premier ministre et qui va le devenir à son corps
défendant. C’est celle de Herman Van Rompuy (prononcez « Romepeuille »), 61 ans, président de la chambre des députés, désigné par le roi Albert II, dimanche soir, comme « formateur » d’un nouveau gouvernement belge, après la démission avec perte et fracas, le 19 décembre, de Yves Leterme, neuf mois tout juste après sa nomination. En règle générale, cette étape précède l’installation au « 16 rue de la Loi », le « Matignon » belge. La plupart des observateurs s’attendent d’ailleurs à la formation d’un nouvel exécutif – la quasi-totalité de l’équipe sortante devrait être reconduite dans ses fonctions — d’ici à mercredi soir.
Van Rompuy répétait encore sur tous les tons ces derniers jours qu'il ne voulait pas y aller, même si son parti, le CD&V (chrétien-démocrate flamand) désespérait de trouver un successeur à Yves Leterme, accusé d'avoir fait pression sur la justice afin qu'elle valide la cession de la banque Fortis. « Je me suis déjà retrouvé face à cette question en 1994 », lorsque Jean-Luc Dehaene a failli être nommé président de la Commission européenne, rappelait-il il y a quelques jours : « je ne souhaitais pas non plus alors » devenir premier ministre. « Je n'ai pas changé depuis 15 ans. Je dis que la politique n'est pas tout dans la vie ». Samedi, il expliquait au quotidien flamand De Standaard : « je me sens tout sauf indispensable ». Comme il le confiait, en début d'année, au quotidien francophone Le Soir, il n'aime « pas ce mode de vie, chaotique, avec une très haute responsabilité ». De l'avis de tous ceux qui le connaissent, il ne s'agit pas là de fausse modestie, mais d'un vrai choix de vie.
Qu'est-ce qui a donc poussé cet homme de l'ombre sur le devant de la scène, et ce, au pire moment, puisqu'il s'agit quasiment d'une mission suicide, comme l'ont montré les malheurs de Leterme, le grand vainqueur des élections législatives de juin 2007. Comme l'écrit De Standaard, « la mission de chef de gouvernement est désespérante parce que notre gouvernement fédéral n'est pas le gouvernement d'un pays, mais de deux pays très différent qui (...) ont une vision différente de ce que le gouvernement fédéral devrait être et devrait faire ». En fait, il n'a pas eu le choix : à partir du moment où les partis membres de la coalition sortante (CD&V et libéraux de l'Open VLD, côté flamand, libéraux du MR, socialistes et centristes du CDH, côté francophone) ont décidé de continuer à gouverner ensemble le pays jusqu'au terme normal de la législature, en 2011, la liste des noms acceptables s'est réduite comme une peau de chagrin.
Ainsi, la candidature de Jean-Luc Dehaene, ancien Premier ministre chrétien-démocrate flamand, tombait de facto, puisqu’il était favorable à des élections anticipées en juin 2009, couplées avec les très importantes élections régionales (celles qui comptent dans la Belgique fédérale). Surtout, il s’est heurté au veto des libéraux du nord et du sud du pays. Comme le CD&V ne pouvait renoncer au poste de premier ministre à six mois des régionales, sauf à précipiter sa défaite, cela excluait les candidatures alternatives comme celle du président des libéraux francophones, Didier Reynders, actuel ministre des Finances. Le problème est que les hommes et femmes d’État manquent au sein du CD&V, un parti qui se referme chaque jour davantage sur la seule Flandre.
Si le nom de Van Rompuy s’est finalement imposé, c’est donc à défaut d’autre candidature crédible... En outre, il est le plus présentable des néerlandophones pour les francophones : né à Bruxelles il y a 61 ans, parfait bilingue, il vit à Rhode-Saint-Genèse, au sud de Bruxelles (une commune flamande majoritairement francophone). Ce catholique fervent, diplômé en philosophie thomiste (en référence à Saint Thomas d’Aquin) et en économie, est considéré comme faisant partie de l’aile la plus « belgicaine » du CD&V. Mais il ne faut pas s’y tromper : Van Rompuy, plus intelligent, plus subtil, plus madré que Yves Leterme, n’en reste pas moins un flamingant à visage humain, pourrait-on dire : comme l’ensemble de la classe politique flamande, il est pour une séparation totale entre la Flandre et l’espace francophone, prélude indispensable à une scission du pays. En particulier, il est favorable à la scission de l’arrondissement électoral et judiciaire de Bruxelles-Hal-Vilvorde qui permet aux 150.000 francophones de la périphérie bruxelloise de voter pour les listes francophones de la capitale et d’être jugés dans leur langue ou encore pour la fin des « facilités » linguistiques accordées à six communes flamandes à majorité francophone situées autour de Bruxelles.
Autrement dit, il serait inexact de croire que le départ de Yves Lerterme signe la fin des revendications flamandes en faveur d’une autonomie accrue. Les élections régionales de juin 2009 vont rappeler, comme le montrent déjà les sondages, que la Flandre n’a renoncé à rien et est même de plus en plus agacée par le refus des Francophones de toute réforme institutionnelle d’envergure.