La crise sied à l’euro. Depuis que le tsunami bancaire et économique a déferlé sur l’Union, les critiques à
l’égard de la monnaie unique se sont tues. Fini l’euro - trop - fort, l’euro dévoreur de pouvoir d’achat, l’euro ennemi de la croissance. Désormais, la monnaie unique, lancée le 1er janvier 1999 (les pièces et les billets faisant leur apparition le 1er janvier 2002), est parée de – presque — toutes les vertus. Car elle a permis aux seize pays qui en sont membres (la Slovaquie adhèrera demain, voir encadré) d’échapper aux tourmentes monétaires qui emportent les unes après les autres les monnaies isolées. Au point que même les plus réfractaires envisagent désormais de l’adopter : l’Islande, fière de son indépendance, mais en faillite, veut adhérer le plus vite possible à l’Union et à l’euro, le Danemark souhaite en finir avec son « opt out » monétaire, la Suède se tâte et même la très eurosceptique Grande-Bretagne, dont la monnaie est depuis hier à parité avec l’euro (-30 % en un an), s’interroge…
Les Européens avaient largement oublié ce qu’était une crise monétaire et les ravages qu’elle pouvait causer. Les dernières tourmentes monétaires remontent, en effet, à 1995 et surtout à 1992-1993 (les crises asiatique et russe de 1997 et 1998 n’ont pas affecté l’Union, l’anticipation de la monnaie unique l’ayant protégée). La crise venue des États-Unis a servi de piqure de rappel, ce qui explique le retournement spectaculaire des opinions publiques européennes souligné par tous les sondages. Ainsi, en France, une enquête qualitative menée il y a quelques semaines par Euro-RSCG auprès d’un panel de 200 Français a montré que tous les mots liés à l’Europe – euro, Banque centrale européenne (BCE), gouvernement économique – rassurent autant que « livret A » ou « Barak Obama », c’est dire.
Le rôle stabilisateur joué par la BCE et son président, Jean-Claude Trichet (photo: Thierry Monasse), est désormais unanimement salué : là aussi, finis le temps des procès d'intention contre la tour d'ivoire où étaient censés vivre les « nains de Francfort ». Nicolas Sarkozy, qui a présidé durant six mois l'Union, a vu qu'il pouvait s'appuyer sur cette institution et a fait de Trichet l'égal d'un chef de gouvernement en l'invitant à toutes les réunions européennes et internationales consacrées à la crise : « je me suis trompé sur Jean-Claude Trichet », reconnaît en privé le chef de l'État. « Il s'est montré beaucoup plus pragmatique que je ne m'y attendais. J'ai eu tort lorsque je l'ai critiqué ».
La construction de l’euro, qui a réellement débuté en 1988, visait à mettre fin aux mouvements de change entre les pays de l’Union, mouvements qui perturbaient le bon fonctionnement du marché intérieur. Pour la France, plus particulièrement, il s’agissait aussi de reconquérir son indépendance par rapport à l’Allemagne qui dictait la politique monétaire de l’ensemble de ses partenaires. Difficile de contester que l’objectif a été atteint. L’avènement de la monnaie unique a aussi permis une baisse sans précédent des taux d’intérêt – que ce soit ceux, à court terme, fixé par la BCE ou à long terme, librement déterminé par les marchés. Pourquoi ? Tout simplement parce que les marchés ont désormais confiance dans la capacité de la BCE à lutter contre l’inflation. Grâce à cette confiance dans l’euro, la France a pu emprunter en 2005 pour la première fois de son histoire à…cinquante ans.
Sur le plan international, l'euro est aussi un incontestable succès, celui-ci étant devenu l'une des grandes monnaies de réserve mondiale (un quart des réserves des banques centrales contre 65 % pour le dollar). Mais, comme le note une étude de l'OFCE (1), « l'euro n'est pas encore devenu une monnaie globale, mais plutôt une puissante monnaie polaire dans une mondialisation régionalisée », ce qui n'est déjà pas si mal pour un enfant de dix ans d'âge.
Cela étant, la monnaie unique, si elle a réussi à assurer une stabilité intérieure, n’a pu à elle seule créer de la croissance, la politique monétaire n’étant qu’un des leviers de l’action économique. Et force est de constater que beaucoup de gouvernements se sont crus dispensés d’effectuer à temps les réformes structurelles indispensables, l’euro les protégeant de la sanction des marchés qui était immédiate dans un système de change flottant. Surtout, l’euro connaît actuellement sa première vraie épreuve du feu : résistera-t-il à la crise actuelle qui pousse les gouvernements, confrontés à des menaces différentes, à jouer le chacun-pour-soi, ce qui accroit les risques de politiques économiques divergentes et donc à terme à une disparition de l’euro ?
(1) « La zone euro, une enfance difficile », lettre de l'office français de conjoncture économique nº 304.
N.B.: ce papier est paru dans Libération d’aujourd’hui.