De toutes les pratiques érotiques, le fétichisme de la laine vierge, du mohair ou de l’angora est peut-être la plus inquiétante. Peut-être parce qu’au contact de ces matières si sensuelles, on renoue avec la nécrophilie.
C'est l'histoire d'un homme qui croise une femme dans la rue et qui se met à la suivre, fasciné par le beau pull en laine vierge qu'elle porte, orné de torsades à quatre mailles… La jeune femme est-elle frileuse ? Pas vraiment. Bien que son col roulé lui remonte jusqu'au menton, elle accorde un sourire à cet inconnu louche… et accepte de le suivre. «J'ai terriblement envie de vous faire l'amour», dit-il. La voilà dans une boutique de confection spécialisée en tricots. Elle fait mine de se déshabiller. «Non, pas encore», proteste l'étrange amant. Et le voilà qui caresse doucement le pull en se pressant contre elle. La situation vire ensuite au cauchemar… Il attache les mains de la femme, sort une paire de ciseaux pour découper ses collants et son pull en laine aux endroits les plus sensibles, remonte le col roulé au dessus de son visage et – au moment où, affolée, elle se met à hurler de frayeur – il lui fait connaitre un plaisir inédit, un plaisir à ce point subjuguant que la femme littéralement s'évanouit dans l'air.
Ne reste qu'un cocon. Une matrice. L'homme, replié en fœtus, s'enroule dans une pelote de laine dévidée, seul avec son secret. Ce film d'Emmanuel Malherbe– que l'on peut voir sur MySpace – réveille des peurs liées à l'enfance. On se rappelle l'histoire de Barbe Bleue, qui tuait toutes ses épouses et gardait leur cadavre enfermés dans une pièce. On se rappelle aussi ce récit de Maupassant, La Chevelure, qui traite de nécrophilie : un médecin aliéniste raconte que son patient couche avec une belle chevelure blonde et douce, qu'il caresse après l'avoir retirée d'un meuble où il la tient sous clé… Michel Serres, dans Les 5 sens, fait allusion à cette pratique de l'Egypte antique rapportée par Hérodote : quand il s'agit de faire embaumer une morte, si elle est jeune et belle, on ne donne pas son corps immédiatement aux embaumeurs qui pourraient succomber aux charmes de la défunte. On attend quelques jours. Momifiée, elle est ensuite placée dans une boite scellée, ses longs cheveux conservés pour l'éternité.
Michel Serres ajoute que l’apparition du christianisme met fin à cette antique tradition de la “thésaurisation” des morts. L’embaumement, la conservation des cadavres ne font plus partie des rites funéraires classiques dès lors que Jésus Christ, ressuscité, abandonne derrière lui une tombe vide. Et pourtant, dans notre Occident chrétien, il existe des réminiscences de ces rites païens qui consistent à conserver les cadavres comme s’il s’agissait de trésors précieux. Il y a des humains qui font l’amour avec des restes humains (pull moelleux porté par la bien-aimée, chevelure soyeuse, tissu doux et tiède comme une peau) qu’ils conservent dans des boites semblables à des sarcophages. Ce sont des coffres magiques qui contiennent leur fantasme et qu’ils ouvrent un peu comme la boîte noire de l’inconscient… afin d’abolir le passage du temps.