«Quatuor chorégraphique pour deux anus et godemichés», Pâquerette est un spectacle de danse très spécial qui se déroule mercredi 4 février à Paris, avec un projet ambitieux : il s'agit de faire danser les sphincters.
Difficile de parler d'un spectacle sans l'avoir vu. Surtout quand ce spectacle soulève autant de réactions épidermiques que Pâquerette, une chorégraphie "déconseillée aux moins de 18 ans" au cours de laquelle deux chorégraphes-danseurs (Cecilia Bengolea et François Chaignaud) "se cambrent, se perforent, chantent et s'effraient." Créé il y a un an environ, Pâquerette repose en partie sur un effet de surprise que la plupart des journalistes ont déjà brisé. Je me permettrai donc ici, pour ceux qui ne l'auraient pas encore vu, d'expliquer précisément ce que l'on voit : au début, deux corps anonymes, revêtus de robes médiévales remuent doucement. Un homme, une femme. Ils remuent de plus en plus, s'activant sur quelque chose que brusquement leurs mouvements révèlent, à la façon d'un coup de tonnerre.
«Je ne savais pas ce qui était en train de se passer, raconte Sabrina Weldman, journaliste à Beaux Arts Magazine. Ils sont habillés au début, ils ont de robes de brocart et tout à coup ils basculent sur le dos, jambes en l'air et on voit qu'ils ont un gode dans l'anus, l'un et l'autre. J'étais saisie ! Aux répétitions, c'est pas évident de danser avec un gode dans l'anus. Il y a tout un travail de relachement musculaire à faire pour parvenir à danser avec cet objet incorporé dans le corps.» C'est justement là que la chorégraphie devient intéressante, semble-t-il. A en croire Sabrina, «cet endroit de pénétration qu'ils osent explorer les conduit à adopter une gestuelle particulière». Leur corps bouge différemment.
Mais ce n'est pas fini. Sabrina Weldman raconte : «A un moment donné, ils enlèvent les godes, ils les posent devant eux et ce moment où ils les posent est extrêmement saisissant car les godes sont énormes. Brusquement on s'aperçoit qu'ils avaient quelque chose de vraiment très gros dans le cul. Il faut bien que ça tienne, n'est-ce pas. On voit bien alors que ce sont deux très grands godes. Ensuite, commence une exploration de l'anus de l'un par l'autre avec les doigts… C'est très troublant. Ça se met à tanguer, on bascule dans une sorte de vertige. Ce n'est pas le plaisir qui est représenté. Ça touche l'érotisme, mais dans une zone trouble qui n'est ni la douleur ni le plaisir, ni l'exhibitionnisme, ni le voyeurisme. Ce n'est pas un spectacle joyeux, ni titillant. Ça n'a rien à voir avec un sex show.»
Sabrina a du mal à définir les sensations que provoquent en elle cette curieuse chorégraphie. Elle répète que c'est troublant. Elle aime beaucoup. Et quand je lui demande si Pâquerette ne pourrait pas être comparé à un spectacle de cirque, elle proteste : «Aujourd'hui dans la danse il y a la volonté de traiter des parties du corps qui ne sont pas traitées - la peau, les sensations, l'intérieur du corps, les orifices… Jerome Bel avait fait scandale il y a une quinzaine d'année en faisant se lâcher une danseuse qui faisait pipi sur scène. Cecilia Bengolea et François Chaignaud nous font entrer dans une zone qui touche nos organes mêmes. C'est cela leur démarche. Ils explorent des zones du corps qui sont vivantes. Que se passe-t-il quand on va toucher ces parties-là du corps ?»
Sur le site Mouvement.net, la journaliste Eve Beauvallet rappelle dans un article magistral que la pionnière Martha Graham réclamait une danse provenant des impulsions du vagin. Rien de nouveau bien sûr. Il y a quelques mois, au Centre Pompidou, le danseur Steven Cohen filmait déjà son anus (et tous ses autres orifices) en gros plan, à l'aide d'une caméra macro au cours d'un spectacle bouleversant, intitulé Hitler, et consacré aux grands bouleversements de l'histoire… La danse moderne ne pouvait pas continuer à ignorer cette partie-là du corps et toutes les expérimentations actuelles ne font jamais que repousser toujours plus loin la frontière des tabous. Reste à savoir si c'est bien fait, si c'est beau, émouvant, troublant, inquiétant, ou tout simplement ennuyeux. Et ça, pour le savoir, il faut aller voir.
NOTE D'INTENTION DE PAQUERETTE (7 avril 2007)
«Avec Pâquerette, sphincters et anus deviennent directement
disponibles à la chorégraphie. Il s'agit, par là, de pousser au plus
loin un mouvement déjà repérable dans l'histoire récente de la danse.
Pendant ces vingt dernières années, des expériences ont consisté à
bousculer la hiérarchie entre les différentes parties du corps et à
injecter, dans la chorégraphie, un travail sur la sensation des
organes, de son intérieur, de ses orifices. Notre projet est de
poursuivre et de radicaliser ce mouvement en rompant le consensus qui
a, jusque-là, malgré tout préservé les anus de la chorégraphie.
Nous souhaitons, par une démarche à la fois chorégraphique et
militante, prendre en brèche le puritanisme de l'allocation
territorialisée des parties intimes et érogènes. En désexualisant les
trous du corps, Pâquerette resexualise le corps dans son entier.
L'enjeu est donc tout autant géographique que symbolique. Prendre
conscience des effets stérilisants de la géographie dominante appliquée
aux corps nous permet de laisser de nouvelles élaborations symboliques
voir le jour.» (Cecilia Bengolea et François Chaignaud)
Pâquerette : mercredi 4 février, à 20h.
Spectacle de 45 mn, au Dansoir Karine Saporta, sur le parvis de la Très Grande Bibliothèque (dans un petit chapiteau situé près du MK2). Rens : 01 48 07 00 17. Métro : Bibliothèque ou Tolbiac. Possibilité de boire un verre et manger sur place avant ou après le spectacle.
Tarifs : 12 euros (8 euros en TR).