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Blog «Coulisses de Bruxelles»

Juncker: les Etats de la zone euro n'auront jamais à faire appel au FMI

Les Européens vont essayer, au cours du sommet européen qui s’ouvre aujourd’hui, de se mettre en ordre de bataille avant le sommet du G20 du 2 avril. Le but de ce dernier est d’adopter des instruments destinés à éviter la répétition de la crise bancaire qui a déstabilisé l’économie mondiale. Jean-Claude Juncker, le premier ministre du Luxembourg et président de l’Eurogroupe (photo: Thierry Monasse), estime qu’il a un vrai risque d’échec, les Américains et les Britanniques semblant se désintéress
DR (Monasse/europolitiquephoto.eu)
publié le 19 mars 2009 à 11h47
(mis à jour le 16 février 2015 à 16h13)

Les Européens vont essayer, au cours du sommet européen qui s’ouvre aujourd’hui, de se mettre en ordre de bataille avant le sommet du G20 du 2 avril. Le but de ce dernier est d’adopter des instruments destinés à éviter la répétition de la crise bancaire qui a déstabilisé l’économie mondiale. Jean-Claude Juncker, le premier ministre du Luxembourg et président de l’Eurogroupe (photo: Thierry Monasse), estime qu’il a un vrai risque d’échec, les Américains et les Britanniques semblant se désintéresser de la régulation des marchés financiers.

Le secret bancaire, qui a fait la richesse du Luxembourg, est-il responsable de la crise financière ?

Le secret bancaire pratiqué au Luxembourg, en Autriche et en Belgique n’est évidemment pas l’une des causes de la crise bancaire. Il est néanmoins évident qu’une réglementation des marchés financiers plus dense que souhaite le G20 pose le problème de ce que l’on appelle les juridictions non coopératives ou paradis fiscaux. Tout simplement parce qu’on ne peut pas réglementer les marchés financiers sur une partie de la planète et pas sur l’autre. Ce qui me pose problème est que l’on fait actuellement un amalgame absolu entre les juridictions non coopératives et les pays qui connaissent un système de secret bancaire respectant le droit communautaire : en vertu d’une directive européenne, la plupart des pays européens pratiquent l’échange d’informations, l’Autriche, la Belgique et le Luxembourg appliquant, eux, une retenue à la source à partager avec les pays dont sont originaires les non-résidents. Néanmoins, pour clarifier les choses, nous sommes désormais d’accord pour adopter la convention-cadre de l’OCDE : autrement dit, s’il y a un soupçon de fraude fiscale, nous échangerons des informations avec ceux qui nous le demandent, car il y a là un détournement du secret bancaire. Mais le simple fait que nous acceptions l’échange d’informations sur demande n’évitera pas une nouvelle crise financière si nous négligeons le reste de la réglementation.

Les paradis fiscaux britanniques semblent moins sous pression que le Luxembourg, la Suisse ou le Liechtenstein.

La solidarité européenne est ainsi faite qu’aucune place financière ne doit avoir pour ambition de vivre aux dépens de ses voisins européens. Il est évident que si des listes noires ou grises de paradis fiscaux doivent être dressées et avalisées par le G20, il faudra qu’y figurent les territoires dépendants de la couronne britannique. Cela doit aussi être le cas d’un territoire comme l’État du Delaware aux États-Unis qui pratique un système de Limited Liability company échappant totalement à l’impôt. Je n’imagine pas une seconde que des États européens respectant le droit communautaire figureraient sur une telle liste et non le Delaware.

À la veille du G20 du 4 avril consacré à la régulation financière, on semble retrouver les clivages habituels entre les continentaux favorables à la régulation et les Anglo-saxons partisans de l’autorégulation.

Nous avons effectivement l’impression que la ferveur dont faisaient preuve certains est en train de retomber. Les États-Unis et dans une moindre mesure la Grande-Bretagne exigent désormais que les Européens alignent plus de moyens budgétaires dans le cadre des paquets conjoncturels. Or, nous estimons qu’aligner entre 3,4 % et 4 % du PIB est un effort substantiel. Il n’est donc pas question d’ajouter du déficit au déficit et de la dette à la dette : nous attendons d’abord de voir quels effets ces paquets conjoncturels auront produits en 2009 et en 2010 avant. Les Américains ont tort de demander plus d’effort de notre part alors que c’est la régulation financière qui doit se trouver au centre des considérations du G20. Les Européens doivent être les champions d’une régulation qui ne rime pas avec strangulation. Déjà, en 2007, nous avions demandé un encadrement des hedge funds et des agences de notation, et nous nous étions heurtés aux Britanniques et aux Américains qui y étaient violemment opposés.

La crise n’a-t-elle pas fait apparaître une ligne de fracture entre l’est et l’ouest du continent DSC05524 européen ? La Hongrie, lorsqu’elle a, en vain, demandé un plan d’aide au secteur bancaire des pays d’Europe de l’Est, a mis en garde contre un nouveau rideau de fer…

Je m’inscris en faux contre cette analyse. L’Union n’est pas constituée de blocs. Simplement, certains pays d’Europe centrale et orientale ont de très sérieuses difficultés dont il convient de s’occuper au cas pas cas et non par un plan d’ensemble qui ne correspondrait à rien, les problèmes étant différents d’un État à l’autre.

N’est-il pas choquant que des pays de l’Union européenne comme la Lettonie, la Hongrie et bientôt la Roumanie fassent appel au FMI ?

Qu’il y ait une intervention du FMI pour des pays hors zone euro ne me gêne pas trop dans la mesure où il s’agit d’une action concertée avec l’Union. Nous avons mis à disposition de ces pays des volumes financiers considérables : ainsi, l’instrument d’intervention dont nous disposons pour les pays hors zone euro a été porté de 15 à 25 milliards d’euros. Mais si la solidarité européenne doit jouer, l’assainissement commence à domicile…

Une intervention du FMI serait-elle imaginable pour un pays de la zone euro ?

Aucun pays de la zone euro n'est menacé par une telle intervention. Si jamais il l'était, j'exclus l'hypothèse qu'il s'adresse au FMI. Nous serions alors à même de formuler une réponse qui ferait que ce pays n'aurait pas à le faire.

La crise ne montre-t-elle pas que les pays d'Europe centrale et orientale sont d'une extrême fragilité et que l'élargissement a sans doute été trop rapide ?

Non je ne crois pas. La crise est d’une telle vigueur que cela explique que des pays qui ont déjà dû s’ajuster il y a peu aux standards de l’économie de marché connaissent de plus grands problèmes que les autres.

Est-ce que cela ne plaide pas pour une pause dans l’élargissement ?

Tant que le traité de Lisbonne n’est pas entré en vigueur, la question de nouvelles adhésions ne se pose pas. Au-delà, je pense qu’il y a une fatigue de l’élargissement à l’ouest et un problème de capacité d’absorption. L’atmosphère d’aujourd’hui ne rend pas plausible une vague d’élargissement comme celle que nous avons connue

N.B.: il s’agit de la version complète de l’entretien publié aujourd’hui dans Libération.