En 1977, Grisélidis Réal affirmait : «La prostitution est un acte révolutionnaire». La veille de la journée des femmes, le 8 mars dernier, Griselidis Real est entrée au "Panthéon" de Genève.
Pour Grisélidis Réal (11 août 1929 - 31 mai 2005), la prostitution était un «un Art, un Humanisme et une Science». Prostituée genevoise, écrivain et poète, Grisélidis Réal vient d'entrer post-mortem au prestigieux cimetière des rois, l'équivalent suisse du Panthéon. Elle avait été enterrée au Petit-Saconnex, par ses enfants. Sa sépulture se trouve désormais entre celle de l'écrivain argentin José Luis Borges et celle de l'acteur François Simon (fils de Michel Simon, qui, lui ne se trouve pas inhumé au cimetière de rois… Etait-il trop "pervers" pour mériter d'être reconnu ?). 200 personnes s'étaient réunies pour assister au transfert de sa dépouille. Ce transfert avait suscité la polémique à Genève, particulièrement auprès de militantes socialistes et féministes. Elles promettaient une manifestation de colère. Certaines ont fait le déplacement oui, mais "face au vibrant hommage rendu, elles ne se sont pas exprimées."
Dans la presse genevoise, les journalistes restent circonspects : "Une putain au Panthéon genevois: pas du goût de tous, certes. Mais nombreux se réjouissent du transfert de la dépouille de Grisélidis Réal" affirme la Tribune de Genève. Un lecteur ironique commente : "Aujourd'hui la prostitution est aux mains de filières étrangères toujours plus dures et mieux organisées sur le territoire qui bénéficient d'appuis locaux. La prostituée tranquille de nos grand papas repose au Cimetière des Rois. Je pense qu'elle aurait détesté cette reconnaissance merveilleusement hypocrite et hautement politisée." Ce n'est pas si certain.
Genève est – après Londres – la deuxième plus grande ville européenne de la prostitution : les agences de call-girls y sont presque aussi nombreuses que les banques. Et au moins tout aussi florissantes. Elles recouvrent des réseaux internationaux. Où que vous alliez dans le monde, vous pouvez être assuré de vous faire livrer, par l’intermédiaire d’une agence genevoise, une bombe perchée sur des talons de 13 cm. Il n’est pas étonnant que la maman des prostituées soit originaire de cette ville si hypocrite : Grisélidis Réal, fille d’enseignants, a grandi sous la férule puritaine. Education très rigide. Etudes aux Arts décoratifs de Zurich. Mariage à 20 ans. Au bout de 6 ans elle divorce et part en Allemagne. L’homme qu’elle a suivi disparait. Que faire ?
En 1961, sans argent, sans papier et sans ressources, Grisélidis Réal se prostitue pour nourrir ses enfants. Elle travaille dans un bordel clandestin en Allemagne. Rapatriée dans son pays natal, elle continue "le métier" quelque temps avant d'aller, à Paris, mener une véritable «Révolution des prostituées». En 1975, avec 500 consœurs, elle occupe la Chapelle Saint Bernard et réclame la reconnaissance des ses droits. "Rejetant l'argument selon lequel une femme ne se prostitue que si elle y est obligée par le souteneur, Grisélidis Réal déclare que la prostitution peut aussi être un choix, une décision. Elle tient à ce que sur ses documents officiels figurent non seulement "écrivain" mais aussi «péripatéticienne» qu'elle considère comme une deuxième profession."
En écrivant des livres - Le noir est une couleur, Carnet de bal d'une courtisane et Suis-je encore vivante ? – Grisélidis continue le combat dans une langue à la crudité roborative. On est loin des clichés misérabilistes. Très loin aussi de l'image saint-sulpicienne de la pute au grand cœur. Les détails sont parfois sordides, mais toujours drôles. Pour mettre fin à l'ostracisme dont souffrent les prostituées, elle décrit leur vie sans fard et fournit une image explicite de leurs activités. Elle va jusqu'à parler de son "métier" dans les universités. Elle anime des réunions publiques. Elle crée un centre de documentation dans son petit appartement des Pâquis (quartier de Genève). Et, avec toujours le même humour ardent, elle défend l'idée que les prostituées ont un rôle social à jouer : elles soulagent les misères humaines.
Il est évident qu’on ne souhaite à personne de tenir un rôle pareil, aussi “social” soit-il. Pas plus qu’on ne rêve de voir ses enfants faire carrière dans la fabrication d’écrous en série ou dans le contrôle technique des WC. Il y a des métiers qui vous tombent dessus et qui, parfois, finissent par vous plaire (ou pas). Aucun travail n’est dénué d’intérêt, sauf ceux – peut-être - qui consistent à répéter la même geste, sans réfléchir, de façon robotique. La prostitution, malheureusement, reste considérée dans nos cultures judéo-islamo-chrétiennes comme une atteinte à la notion sacro-sainte d’Amour.
Pour les héritiers de la morale religieuse, l’amour doit être gratuit. Le plaisir doit être donné sans contrepartie. Si on poussait cette logique plus loin, il ne faudrait avoir de relation sexuelle que dans le cadre du couple : fini les relations avec des inconnus. Proscrites les étreintes dénuées de tout sentiment. Interdit le sexe «par intérêt». Dans un monde idéal, il serait sûrement merveilleux de ne pouvoir s’envoyer en l’air qu’avec son/sa bien-aimé(e). Dans un monde idéal, il ne devrait y avoir ni guerre, ni prostitution. Mais dans notre monde qui n’est pas idéal, les prostituées existent et elles réclament le droit d’exercer leur métier sans se faire insulter, maltraiter ni contaminer. Elles font un travail. Parfois elles le font bien. Tout travail mérite salaire.
Pour tout le monde, il semble normal que le boulanger soit payé quand il fait une baguette de pain. Mais qu’une femme (ou un homme) soit payé pour faire une fellation ? Scandale. Le sexe devient “sale” quand l’argent s’en mêle. La baguette de pain, elle, reste immaculée. Elle a pourtant demandé du temps, de l’attention, du talent et parfois même un peu de chaleur humaine. Où est la différence ?