Parfois, les gens se marient en oubliant quelque chose d’essentiel : la sexualité. Ils ont choisi leur épouse (époux) non pas parce qu’ils partagent les mêmes fantasmes, mais parce qu’ils s’entendent bien. Et après, ils pleurent.
Il arrive régulièrement que des journalistes spécialisés dans le sexe reçoivent des appels d'inconnus : «Allo, aidez-moi. Je suis… (au choix : fétichiste des talons aiguilles, très excité par le sexe à plusieurs, etc). Pourriez-vous me présenter des personnes avec qui je pourrais réaliser mes fantasmes ?» Les journalistes, en général, n'ont ni le temps ni l'envie de jouer les mères maquerelles. Ils répondent donc : «Cher Monsieur, si vous voulez rencontrer des gens qui partagent vos goûts sortez dans les soirées adéquates (au choix : soirée fétichiste, soirée échangiste).» La conversation finit généralement là.
Le problème, c'est que les inconnus ne s'estiment parfois pas du tout satisfaits de cette réponse. Certains protestent : «Mais je suis marié !» Sous-entendu : «Je veux tromper ma femme.» A ces hommes qui veulent tromper leur femme, qui l'estiment sans doute trop pure (ou trop conne) pour partager leurs fantasmes, il semble absolument impensable de pouvoir s'absenter pour une soirée. Ils veulent la tromper mais «discrètement». Afin – probablement – qu'elle ne se doute jamais de rien et qu'elle ne s'accorde pas elle-même, de son côté, le moindre plaisir extra-marital. Le mariage est-il donc un prison ?
Dans L'Amour gourmand, ouvrage consacré au «libertinage gastronomique du XVIIIe siècle», Serge Safran évoque «le carcan du couple» : piège mortel, dit-il. Au début, on trouve si doux de tomber amoureux d'une femme, éventuellement de se lier par contrat, de faire des enfants avec elle, de «goûter aux délicieuses prémices de la si bien nommée cellule familiale.» Elle aussi, tout d'abord, trouve cela merveilleux. Mais gare à ceux et celles qui se sont mariés en dissimulant leurs fantasmes. Ne se sont-ils pas condamnés à mort ? Ce qu'exprime Serge Safran, avec beaucoup de lyrisme : «Ne pouvoir se livrer aux épanchements de tendresse ou aux échanges spirituels entraîne pour beaucoup – cela est avéré – d'immenses détresses affectives. Certes. Mais ne pas satisfaire ses passions sexuelles, auxquelles ils sont inévitablement liés, reste la pire chose qui soit. Confine à l'effarante solitude, l'ennui à petit feu, la morte lente avant le bout du chemin, parfois même au désir d'en finir. D'où l'obsession vitale d'écouter en priorité ses instincts et de les mieux flatter, chez soi comme chez l'autre, pour parvenir à ses fins.»
L'Amour Gourmand, de Serge Safran, coll. L'attrape-corps, éd La Musardine, 16 euros.
La photo est de Eric Kroll.