Le sénateur Jean-Luc Mélenchon, ex-socialiste et fondateur du « Front de gauche », martèle sur
toutes les ondes que socialistes et conservateurs, c’est blanc bonnet et bonnet blanc : «le PSE et la droite européenne n’ont pas tellement envie de discuter de leur exploit au parlement européen, par exemple sur la directive électricité qu’ils ont voté ensemble. Comme ils ont d’ailleurs voté ensemble 97% des décisions qui sont prises au PE. C’est quand même incroyable : droite et gauche se tirent la bourre en France, mais dès qu’ils arrivent là bas (à Bruxelles, NDLR), c’est fini, ils s’arrangent entre eux», a-t-il ainsi déclaré sur France 3 le 11 mai. Un chiffre de 97 % qui a également été cité par Olivier Besancenot, le leader du NPA, hier sur France 2.

Mélenchon et Besancenot ont été prendre leurs renseignements sur un site eurosceptique tenu par des proches de Philippe de Villiers, « L’observatoire de l’Europe ». Ce site s’appuie sur une étude (mais n’y renvoie pas directement) d’un chercheur en sciences politiques suédois, un certain Jan Johansson, qui a analysé les 535 votes finaux (et non amendement par amendement) par appel nominal intervenu en 2008. Conclusion du site, qui ne s’en tient pas à l’année 2008, « depuis le début de la dernière mandature, neuf fois sur dix, les groupes où siègent l’UMP, le PS et le Modem votent de manière identique au Parlement européen. Un score digne de la Douma de l’ex Union soviétique ». Ce n’est pas la première fois que la droite et la gauche radicale échange ainsi leurs arguments : durant la campagne référendaire de 2005, le fameux « plombier polonais » a été inventé par le vicomte avant de faire la fortune du « non de gauche ».

Or, pour obliger le Conseil des ministres à tenir compte des amendements à un projet de directive ou de règlement, il faut que le Parlement réunisse une majorité absolue de députés, soit 393 voix. Durant la législature 2004-2009, le principal groupe politique, le PPE (conservateurs) n’avait que 288 membres, le second, le PSE, 216 et les libéraux de l’ADLE (où siège le Modem), 99. Il faut donc négocier entre groupes politiques pour atteindre le chiffre magique de 393 : « Il y a 120 partis politiques représentés au Parlement, venant de 27 pas, parlant 23 langues et utilisant 3 alphabets différents », s’amuse Gérard Onesta, vice-président Vert du Parlement. Le compromis ainsi trouvé aura d’ailleurs de fortes chances d’être accepté par un Conseil des ministres lui-même composé de gouvernements de droite et de gauche et qui doit voter le texte à la majorité qualifiée (grosso modo, au moins vingt pays sur vingt-sept). « La négociation européenne, c’est comme une négociation syndicale : on se bat, mais au final il faut conclure un accord tenant compte du rapport de force », analyse Pervenche Berès.
Bien sûr, le vote amendement par amendement ne recoupe pas toujours le vote final : « cela dépend de l’appréciation que fera chaque groupe : s’il juge que le verre est à moitié plein, il votera pour, à moitié vide, il votera contre », résume Gérard Onesta. Ainsi, les socialistes français qui ont voté tous les amendements à la directive « services » dite Bolkestein n’ont finalement pas voté le texte global par opportunité politique… De même, le vote des amendements est loin d’être pertinent : « il y a une bonne partie des textes que nous votons qui ne posent strictement aucun problème. Ce qui est important, ce sont les votes de différenciation politique et ceux-là ne concernent qu’une petite partie des projets de directives », précise Onesta. Comme le constate Pervenche Berès, sur ces votes, la « majorité naturelle se fait entre le PPE et l’ADLE ».
Un site infiniment plus sérieux que « l’observatoire de l’Europe », votewatch.eu, mis au point par
des chercheurs de la London School of economics et de l’Université libre de Bruxelles, montre que les majorités (amendement par amendement) sont autrement plus complexes que ne le disent Mélenchon et Philippe de Villiers. Ainsi, dans 13,22 % des cas, la majorité a réuni le PPE, le PSE, l’ADLE, les souverainistes de l’UEN, les Verts et les…communistes de la GUE. La seconde « coalition gagnante » (dans 12,47 % des cas) a réuni les mêmes plus les Villiéristes d’Indépendance et démocratie (ID). Le troisième type de « coalition gagnante » (7,76 % des cas) réunit le PPE, le PSE, les libéraux de l’ADLE, l’UEN et…ID. Dans plus de 46 % des cas, les Villiéristes font partie de ces coalitions et dans 52 % des cas, les communistes… Le PSE, lui, pointe à plus de 81 % des cas. Le PPE n’est exclu d’une coalition gagnante que dans 5,37 % des votes (majorité PSE, ADLE, Verts et communistes).

Le PPE et le PSE ne votent au final ensemble que dans 69,70 % des cas (mais seulement 56 % dans les affaires sociales et 52,5 % dans le domaine économique). Les Villiéristes votent avec les socialistes dans 40 % des cas alors que les communistes votent avec le PPE dans 42 % des cas et avec les Villiéristes dans 40,90 % des cas… Donc l’argument du « qui vote avec qui » peut être retourné comme un gant…