Il existe sur Internet un site bizarre qui rassemble toutes sortes de gens auto-baptisés "Volontaires". Ils mettent en commun leur savoir et leurs compétences pour participer à la résistance. La résistance à quoi?
"Je fournis les balles et mon sourire", dit une Volontaire de 19 ans. Sur le site La Fraternité des Précaires, Tess, annonce: "Bonjour, Je suis Tess et j'habite dans le 5e arrondissement de Marseille. Je suis passionnée par les révoltes actuelles, surtout par les séquestrations de grands patrons. J'ai un fusil d'assaut et plusieurs revolvers. Je vous propose de garder de façon ponctuelle vos otages…». Plus loin, une monitrice de vol à domicile propose plusieurs services: "Cours de vol du débutant à l'attaque de fourgon. Cours collectif ou individuel. Très pédagogue avec les enfants (découverte du vol par le jeu). Sorties en supermarchés, domiciles privés, bijouterie." A la rubrique «Communiqués», on peut lire, au sujet des essais nucléaires coréens: "La Fraternité des précaires félicite chaleureusement la République démocratique populaire de Corée (RDPC), ses dirigeants et ses scientifiques. Cet essai va contribuer à garantir la présence de la Fraternité des précaires dans la région." "Encore un groupuscule d'activistes !", commente un internaute. Reste à savoir quel activisme. Sur ce site d'agit-prop contradictoire, gauchistes, néo-fachos ou philosophes de bistrot: ils sont tous renvoyés dos à dos.
A l'origine de ce site faussement militant: Kiki et Loulou Picasso. Ils ont emprunté le nom du peintre à l'époque où tout le monde protestait que n'importe quel graffiti de Picasso, tracé à la va-vite sur une nappe de restaurant, se vende pour une fortune. «Idée géniale», pensent Kiki et Loulou. N'importe qui peut peut faire des graffitis. Co-fondateurs du mouvement Bazooka, les deux comparses sévissent dès le milieu des années 70 au sein de la scène underground française, en compagnie de Lulu Larsen, Olivia Clavel, Bernard Vidal, T5dur et Jean Rouzaud. Ils ont l'esprit punk. Ils cassent. Ils dessinent des jeunes filles en culotte dans des appareillages médicaux. De belles victimes d'accident à la bouche sanglante. Des flics sexy armés de matraque. Le monde n'est qu'une sorte de fantasme violent. Les crash deviennent aphrodisiaques. Les attentats d'explosives manifestations d'une libido affolée. A l'époque, dans les clubs qui célèbrent l'esthétique industrielle et électro, dans l'atmosphère noire et luisante de bunkers et d'hôpitaux peuplés de créatures en cuir, tout le monde chante en chœur Warm Leatherette: "Une larme de pétrole coule de ton œil, le frein à main a percé ta cuisse, vite, faisons l'amour, avant que tu meures".
Les artistes de Bazooka propagent sous forme d'images violentes cette sexualité de l'urgence. Leurs œuvre provocantes "sont signées collectivement ou sous pseudonymes, dépersonnalisant ainsi le processus de création". Le but: faire sortir l'art du cadre classique des galeries et des institutions. S'auto-produire. "Parce qu'il faut s'emparer des moyens de production en vue de créer nos propres rugissements.« S'inspirant du livre Do It -si tu veux quelque chose, fais-le toi-même- la bande à Bazooka infiltre les supports grand public -pochettes de disque, génériques TV, presse– afin de répandre son message de subversion généralisée. "Engagés en 1977 à Libération, ils vont littéralement faire exploser la maquette du journal, déplaçant les colonnes, remplaçant les travaux photographiques par des dessins ou ajoutant textes et légendes souvent en opposition avec le contenu des articles qu'ils sont supposés illustrer. La rédaction étant largement partagée sur ces interventions graphiques, les agressions verbales et physiques entre l'équipe historique du journal et les membres du groupe Bazooka vont se multiplier jusqu'au renvoi pur et simple du collectif. Leur retour sera rendu possible grâce à Serge July qui leur proposera de développer un projet indépendant du journal, le désormais mythique »Un Regard Moderne« (5 parutions plus un N°0, tous publiés en 1978)."
Du 5 au 20 juin 2009, Kiki et Loulou Picasso sont de retour pour une exposition à ne pas rater, pleine d'images empruntées à l'actualité, détournées, accompagnées de slogans ambigus. L'exposition dure seulement deux semaines, à Paris. Parallèlement, ils publient Engin Explosif Improvisé avec une maquette signée Étienne Robial, (fondateur de la maison d'édition Futuropolis et graphiste historique de Canal +). Officiellement ce livre est un rapport commandé par l'Office Central des Inégalités au sujet d'une organisation militante ayant pour nom la Fraternité des précaires. Vous ne connaissez pas la Fraternité des Précaires? Normal. Vous êtes entré sans le savoir dans l'univers pervers de Bazooka.
Exposition du 5 au 20 juin 2009. Ouvert du lundi au samedi 14h-20h
Vernissage le jeudi 4 juin 2009 de 16h à 21h
Espace éof: 15, rue saint fiacre 75002 paris. Métro: grands boulevards. Infos: 06 22 85 35 86
Engin Explosif Improvisé, de kiki et loulou Picasso (avec la participation de Olivia Clavel), éditions l'Association, 64 pages couleurs, cartonné et relié, 30 €. En vente au Regard Moderne : 10 rue git le coeur, 75006 Paris.